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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/71

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PRAGMATISME

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se déroule dans le présent. Voici les divers moments qu’on peut y distinguer : « i) nous nous servons d’un esprit qui a que que expérience antérieure et qui possède quelque connaissance, et j)a ainsi acquis (ce dont il a grandement besoin) une certaine hase, dans la réalité qu’il contenta accepter comme « fait » ; car i) il lui faut une « plate-l’orme » d’où il puisse continuer d’agir sur une situation, qu’il a en face de lui, 4) alin de réaliser quelque dessein ou de satisfaire quelque intérêt qui délinitpour lui une a lin » et constitue pour lui un « bien ». ô) En conséquence, il entre en contact expérimental avec la situation par quelque intervention volontaire, qui peut commencer par une simple allirmation et continuer par des conclusions raisonnées, mais qui toujours, quand elle est complète, aboutit à un acte. G) Il est guidé par les résultats (conséquences) de cette expérience, qui tendent à vérilier ou à discréditer la base provisoire, les « faits, affirmations, conceptions, hypothèses et postulats originels. 7) D’où, si les résultats sont satisfaisants, le raisonnement employé est considéré comme ayant été bon pro tanto, les résultats, exacts, les opérations accomplies, valides, tandis que les concepts employés et les allirmations énoncées sont jugés vrais. » (Slud. in Hum., p. 185)

Il pourrait sembler, d’après cette description, que, sans parler decette matière mystérieuse sur laquelle notre action s’exerce, il y a encore un autre élément qui s’impose à notre esprit et qui n’a pu subir son influence au premier moment, quelle que soit la revision que la pensée en fasse par la suite. C’est cette base dans la réalité qui est déclarée nécessaire pour que notre action puisse s’exercer sur la situation donnée. Mais M. Schiller nous avertit que le mot

« fait », auquel on attribue une si grande valeur, est

un mot ambigu. Le fait « trouvé » et non « formé », que l’on peut, en ce sens, appeler indépendant de notre connaissance, est la « réalité primaire ». Le fait, ainsi compris, est antérieur à la distinction de l’apparence et de la réalité. C’est de l’expérience brute, et tout ce que l’expérience enferme est réel à ce point de vue (imaginations, rêves, illusions, hallucinations, erreurs). Un travail de sélection s’accomplit parmi cette réalité primaire ; alors seulement nous distinguons le fait réel de ce que nous rejetons comme une simple apparence. Dans cette sélection, nos desseins, nos émotions, nos désirs sont intervenus ; il n’y a donc pas de fait purement objectif. On a cru trouver dans l’existence des faits désagréables que nous sommes obligés de constater, quoi que nous en ayons, une objection contre la théorie pragmatiste. Au contraire, ils en sont, dit M. Schiller, un élément indispensable. Il ne faut pas confondre déplaisant et objectif. Ces faits ne font pas irruption en nous ; ils sont « acceptés » comme les autres, au moins provisoirement ; il nous incitent à des efforts qui tendent à les rendre irréels. De plus, s’ils sont acceptés, c’est qu’ils ne pouvaient être rejetés sans que nous eussions à subir des impressions plus désagréables encore. La loi de la hiérarchie des intérêts humains s’applique donc ici.

Si la production de toute véritésuppose des vérités préexistantes, ne doit-on pas arriver finalement à une vérité qui n’ait pas été « faite » ? A cela M. Schiller répond que, sans doute, on ne peut concevoir qu’une vérité ait jamais été tirée de rien, mais que, s’il existe un élément primitif qui n’ait pas été produit par notre esprit, cet élément demeure en dehors de nos prises. Quoi qu’il en soit, il reste légitime, du point de vue de la méthode, de considérer toute vérité comme ayant été « faite ».

Ceci s’applique même aux premiers principes. Le vieilempirisme a tenté de les expliquer d’une manière

Tome IV.

purement psychologique, en disant qu’ils dérivent de l’impression que les choses font sur l’esprit ; si nous énonçons le principe de causalité, c’est qu’en effet l’univers n’est qu’un ensemble de causes et d’ell’ets qui forment des successions régulières. Mais ces principes ne sauraient être extraits de l’expérience, car il faut déjà les posséder avant que l’expérience puisse les continuer ; de plus, cet empirisme ne réussit pas à nous montrer la dérivation de ces axiomes dans l’expérience. Il se contente d’allirmer que le fait s’est produit très anciennement par le mécanisme de l’association des images ; si bien que maintenant ils sont immuablement tixés, et que, chez l’homme actuel, la constitution de l’esprit est pratiquement la même pour l’empiristeque pour l’aprioriste. La conception aprioriste n’est pas établie par l’échec même de l’empirisme, car il y a un moyen terme : les axiomes peuvent être des postulats sans perdre leur nécessité et leur universalité. Que l’analyse kantienne se place sur le terrain psychologique ou sur le terrain logique, elle ne parvient pas à s’imposer. Au point de vue logique, elle n’apparaît pas comme vraie a priori, et l’antithèse fondamentale de la matière et de la forme, de la sensation et de la pensée, sur laquelle elle repose, est arbitraire. Au point de vue psychologique, les principes a priori sont des faits, et non des données ultimes qui soient rebelles à l’analyse. On peut donc, par une recherche plus pénétrante, en connaître la nature en en faisant l’histoire. La spéculation de Kant aboutit à un dilemme : ou supprimer la Raison Pratique ou étendre à la Raison Théorique l’usage des postulats.

C’est ce dernier parti qu’il faut prendre, si l’on veut être conséquent. Les postulats sont des demandes adressées à l’univers de notre expérience au nom de nos besoins et de nos désirs. Quelques-unes de ces demandes sontrejetées, d’autres, à moitié satisfaites, d’autres enfln, après quelques efforts, ont été pleinement exaucées. Ce sont ces dernières que nous appelons des axiomes. Mais quelque confirmation que ces tentatives si heureuses aient reçue de l’expérience, elles ne diffèrent nullement en nature de celles qui n’ont pas eu cette brillante fortune. Théoriquement, la liste des axiomes n’est pas close, puisque nous ne savons pas ce que nous réserve l’expérience ; certains axiomes peuvent redevenir simples postulats, certains postulats s’élever au rang d’axiomes. Pourtant, pratiquement, pour certains axiomes, le principe d’identité, par exemple, la possibilité d’un recul peut être négligée ; mais cela n’est vrai qu’au point de vue pratique, parce qu’il faudrait un effort colossal de l’esprit pour modifier la structure qui s’est ainsi formée au cours du temps et qu’il serait insensé de la détruire, uniquement pour montrer qu’elle avait été faite par voie de postulation, si nous ne pouvions substituer desaxiomes supérieurs à ceux dont nous usons maintenant.

Dans l’humanisme de M. Schiller, ’il reste donc bien peu de chose des conditions imposées parJames à la connaissance, conditions qui permettaient à ce dernier de croire qu’il demeurait fidèle au réalisme. Chez M. Dhwby, nous trouvons une réduction plus complète encore du fait ou de la chose au concept ; ou, pour mieux dire, nous leur voyons assigner une même nature et seulement des fonctions et des états divers. Le fondateur de l’école de Chicago conclut de l’analyse qu’il fait delà pensée qu’elle a un caractèreessentiellement utilitaire, instrumental, suivant son expression ; d’où le nom A’Instrumentalisme donné d’abord à sa doctrine, qu’il préfère maintenant appeler Expérimentalisme.

Plus nettement encore que James et Schiller, il pose la question du point de vue d’où Peirce l’a envi-