Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/785

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

SUGGESTION

1558

malheureux, esclaves évidemment volontaires du prétendu viol de leur liberté : * Sauf des cas d’entraînement fort longs et très exceptionnels, il nous a toujours paru qu’il était bien difficile, sous l’inlluence d’une ou plusieurs séances d’hypnose, de faire commettre par un sujet des acte^ contre lesquels se révoltent ses tendances profondes. » (Prof. Bajbnoff etOssiPOKF, deMoscou, la Suggestion et ses limites, trad. fr. 191 1, p. n^)- — Lors même d’ailleurs qu’on produirait un acte à la fois suggéré et délictueux, il resterait à prouver que l’hypnotisé, dans les profondeurs de sa subconscience, ne recelait pas un consentement refoulé, suivant la pure conception freudienne, et dont l'épanouissement ne révèle que les tendances secrètes de sa volonté propre. Rien, quoi qu’il en soit, n’attente à la liberté humaine dans l'état du suggestionné.

Quant à l’usage que fait le suggestionneur de l’hypnose, usage déjà très limité du temps de Grasskt (o. c, chap. vu), aujourd’hui pratiquement abandonné, nul doute qu’il ne soit souvent

« funeste pour la santé physique » (Lapponi, o. c, 

p. 267) ; mais si des attentats (à l’honneur des. vierges, à la propriété, à la vie même), ont été perpétrés à la faveur de ce sinistre procédé, ce sont là des crimes où l’hypnose n’agit pas comme cause, mais comme occasion ou comme moyen ; on ne saurait donc incriminer que la malice accidentelle des auteurs, lesquels auraient pu recourir, et plus facilement, à des anesthésiques généraux, comme Joihb l’a remarqué (cf. Grasset, o. c, p. 448, note)

Bref, l’hypnose équivaut à une violence : elle transforme artilicielleiuent l’activité normale en une activité réflexe ; elle supprime plus ou moins, mais réellement, le pouvoir de contrôle et de frein qui normalement s’interpose entre la sollicitation centripète (conseil, exemple) et la réaction centrifuge (exécution, imitation). Que l'être humain se rende plus ou moins compte de cette violence ; qu’il en soit plus ou moins complice, même quand il ne s’en rend pas compte, par exemple s’il a consenti préalablement à l’hypnose qui le subjugue : théoriquement il devient un automate, quoi qu’il en soit ; et pratiquement sa liberté est diminuée, ce qui équivaut quelquefois à la dépendance absolue, comme dans toute violence.

Mais cela ne fait courir aucun péril grave à la liberté morale, théoriquement indemne, puisqu’il ne s’agit que d’une contrainte pratique ; et, même pratiquement, l'être libre déchoit très rarement dans l’hypnose, — et encore est-ce toujours douteux — des positions choisies par sa conscience. Plus le parti imposé s'écarte de ses préférences spontanées, inoins l’expérience risque de réussir. On l’a vu dans les expériences de laboratoire, où des actes immoraux et graves ne sont jamais irrésistibles quand ils affleurent au plan de la réalité. Un autre problème se pose au sujet des actes canoniques ou civils (donation, vente, mariage), dont la gravité indiscutable n’implique pas l’Immoralité, s’il s’agit d’actes licites, et qui pourtant sont nuls s’ils sont inconscients et contraints. Nous avons des raisons de croire que de tels actes peuvent être nuls, à la condition très rare d’une hypnose préalable très forte et très répétée : car ils peuve.it être alors irrésistibles ; mais ils ne sont pas pour cela inconscients. Dès lors, les victimes assistent impuissantes à la violation de leur liberté, ce qui venge non seulement leur liberté théorique, mais leurs droits dans l’ordre pralique.

Ainsi, tout ce qui est sollicité d’un sujet dans l’hypnose, réponse indiscrète, parole dictée, acte imposé après le réveil (Grasset, o. c. pp..'o2-303), geste imprimé au corps (catalepsie), tout cefk est

artificiellement réflexe. Rien donc de tout cela ne permet de préjuger de ce que fournirait à l'état normal le fonds pratique du dormeur. On peut encore moins en conclure que les actes de ces victimes ne sauraient être en d’autres cas, avoir été, ni redevenir normaux et spontanés.

/<) La suggestion simple et l’autosuggestion postu’ent un certain degré de conscience et sont encore moins alarmantes pour l’intégrité du librearbitre.

§ 1) Dans le cas de l’autosuggestion, c’est évident, puisqu’on agit au moins comme suggestion neur, n’apportant de passivité que dans la docilité qu’on met au service de l’image. J’avance ma pendule pour partir plus tôt : c’est une suggestion. Et je me la fais à moi-même. Comme suggestionneur, je sais que la pendule avance ; comme suggestionné, je fois l’heure, et cette image, même trompeuse, me harcèle. En suis-je moins libre ? Non, car la décision n’est pas imposée.

§ 2) De cet exemple, il est permis d’inférer que Yhétérosuggestion n’attente pas davantage à la liberté d’autrui, car le mécanisme est le même : on ne provoque que la tyrannie d’une image, contre laquelle l’idée sera toujours libre de regimber. C’est un phénomène banal en pédagogie, en diplomatie, en politique même : quand le gouvernement augmenta de 20 °/ toute une série d’impôts, il lit une suggestion en appelant sa mesure impôt du double décime. La sensibilité ne fut pas émue ; le mot décime, synonyme de pièce de deux sous, c’est-à-dire d’une bagatelle, fit image, et cette image était bénigne. Les figures de rhétorique sontégalement des suggestions : La litote de Chimène (Va, je ne te hais point) suggère une chose énorme en fonction d’un mot tolérable. A plus forte raison, quand l’image et l’idée collaborent, la liberté est sauve. Dira-t-on qu’un sauveteur attente à la conscience du naufragé s’il lui jette une bouée ? Et si, incapable de la lancer ou de la trouver, il soutient son courage en feignant de la chercher, aura-til créé l’idée, c’est-à-dire la volonté de nager ? Nullement. C’est en n’agissant point qu’il aurait trahi l’infortuné, car il eût supprimé l’acte en omettant de le représenter ! Telle est pourtant toute suggestion thérapeutique : pourvoyeuse d’images, au gré desquelles le mécanisme curateur agit de lui-même et sans modification. Là gît le secret de la recette, en même temps que la réfutation des perspectives ilimitées ouvertes sur les méfaits de la suggestion. Celle-ci n’anéantit pas la morale ; elle ne déforme pas davantage la psychologie.

§ 3) Le freudisme fait une belle part à la suggestion simple, car l’analyse du psychiatre est une insistance libre, au moins égale à la « résistance » du rêveur : en effet cette résistance triomphait de l’inconscient, elle capitule devant l’analyse. Toutefois la discrétion du rêveur est seule à capituler ; ses tendances se révèlent en revanche, et cette explosion montre justement ce qu’il y a de mobiles refoulés, de traditions impérieuses ou d’initiatives amorcées, bref de volonté dans le subconscient. La liberté reçoit donc du freudisme quelques tributs d’hommages : c’est pour la découvrir qu’il plonge aux bas fonds du rêve. Voilà pour sa théorie, s’il est logique. En pratique, il est possible que les rêves ne témoignent pas d’un désir. Selon Janrt (Traité dePsychologie de Dumas, t. I, p. 0.43), il en serait rarement ainsi ; et nous savons tous que nous avons rêvé maintes fois guillotine, ruine, damnation, c’est-à-dire le contraire de nos désirs. En outre, le désir sexuel, en tantque prédominant, ne saurait être que le fait d’une exception, ou alors la distinction des tempéraments est chose aine. Donc de deux cho-