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Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 4.djvu/83

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PRAGMATISME

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gine unique. Ellesnous viennent toutes (le nus sens, qui ne nous révèlent rien avant qu’une action des choses se soit exercée sur eux. En outre, les mouvements d’adaptation que nous Faisons dès qu’une excitation du dehors nous a donné l’éveil, nous aident beaucoup à avoir une perception nette. Les deux actions, celle du dehors et celle de l’organisme, concourent donc à nous procurer les représentations primitives d’où dériveront les autres. Mais si notre connaissance commence uniformément par les sens, ce n’est point par eux qu’elle s’achève toujours, suivant la remarque profonde de S. Thomas d’Aqdih, car les divers ordres de science sont constitués par des degrés divers d’abstraction. Une idée, par cela même qu’elle est idée, ne représente plus rien de ce qui est individuel. Mais certains concepts gardent encore des traits sensibles bien que généralisés. L’idée de phosphore, par exemple, l’ait abstraction de tout ce qui est particulier à tel ou tel morceau de cette substance, mais elle contient encore les qualités de couleur, résistance, saveur, température, etc. D’autres font abstraction des qualités sensibles et ne retiennent plus, comme trait matériel, que l’étendue. Entin une dernière classe fait abstraction de tout ce qui est matière et negarde que ce qui est commun à tous les êtres quels qu’ils soient.

Ces trois classes de concepts déterminent les trois grandsordres de science, sciences delà nature, sciences mathématiques, sciences philosophiques, et le degré de leur abstraction détermine leur méthode. On comprend que dans le premier cas, non seulement l’on puisse, mais l’on doive revenir aux données sensibles pour vérifier le concept, car celui-ci, tout général qu’il soit, enferme encore des qualités sensibles et par suite se prèle à la vérification expérimentale et l’exige. Mais, en mathématiques, ce genre de vérification n’a plus aucun sens. Un pragmatiste aura beau dire qu’un théorème n’a de signitication et de vérité que s’il s’applique d’une manière ou d’une autre, — par exemple, les théorèmes sur les surfaces dans l’arpentage des terrains, — le mathématicien demeure convaincu, ajuste titre, que la vérité du théorème est absolument indépendante de cette application, qu’elle est établie a priori, en vertu des propriétés des figures. Il devait en être ainsi, puisque les concepts mathématiques ne contiennent pins de qualités sensibles et n’offrent, par suite, aucune base à l’expérimentation. A plus forte raison en est-il ainsi des concepts philosophiques, encore plus éloignés de ce qui est corporel.

Personne cependant n’osera soutenir que les idées mathématiques sont obscures ou n’ont pas de sens. Ce sont, au contraire, les plus claires et les plus précises ; il n’y a pas de domaine d’où l’équivoque soit plus rigoureusement bannie, où l’accord des esprits soit plus frappant. La règle de Peirce ne s’applique donc point ici, et cela sullit à nous convaincre qu’elle n’indique pas le véritable principe d’où nos idées tirent leur sens, que, même dans les sciences de la nature, le rapport des lois de l’univers avec notre action n’a qu’un rôle logique tout à fait secondaire.

Dira-t-on que nous avons pris le mot expérience dans un sens trop restreint ; qu’il ne s’agit pas toujours de l’expérimentation, que l’expérience peut avoir un objet interne aussi bien qu’externe ? Soit ; mais alors le critérium des idées claires disparait. Il n’est, en effet, aucune représentation, quelle qu’elle soit, qui ne fasse une différence dans l’expérience ainsi entendue, que l’idée soit confuse et indéterminée, ou claire et précise, qu’elle soit erronée ou vraie. Le fait même de représenter tels caractères plutôt

que tels autres est une différence dans l’expérience, au sens large que nous envisageons maintenant. Se représenter la force, la potentialité sont alors des expériences différentes de celles qui consistent à se représenter un cercle ou un triangle, différence qui ne change rien à l’obscurité des premières de ces notions. Comment contester qu’on puisse donner le nom d’expérience à ce fait psychologique ? i’éprouve aussi réellement la représentation du centaure que la représentation du cercle ou d’une maison. Que la première ne corresponde à rien de réel, c’est une autre affaire ; mais, comme représentation, elle introduit une différence dans l’expérience, de même que celles qui ont un objet réel. Ce mot expérience, avec toute l’étendue que lui donne James, en particulier, est donc singulièrement ambigu.

Même ambiguïté lorsqu’il s’agit du mot « conséquence ». Déjà chez Peirce, avant qu’il eut distingué son pragmaticisme du pragmatisme, il était difficile dédire s’il entendait par conséquences les attitudes que nous font prendre les expériences que nous procurent nos représentations, ou ces expériences elles-mêmes. Lorsqu’il disait, par exemple, que l’Eucharistie a la même signitication pour les catholiques et les protestants, parce que l’attitude qu’ils ont à l’égard de ce sacrement est pratiquement la même, conséquences avait le premier sens ; lorsque, d’autre part, il observait que l’idée de la dureté du diamant ne représente pas autre chose que ce fait qu’il raie les autres substances, conséquences avait le second. Finalement, Peirce a adopté celui-ci, puisqu’il insiste surles expériences communes des hommes, mais alors il ne s’agit plus que d’expérience dans un sens restreint. Chez James, bien quecelui-ci s’attache surtout au caractère concret des éléments de l’idée plutôt qu’à l’action qui en dérive, l’ambiguïté persiste, car il y a des cas où les conséquences sont celles de la croyance ou conviction par laquelle on adhère à une idée, et non de l’objet que représente l’idée ; des cas où il s’agit de ses résultats heureux, de la facilité, du succès qu’elle assure à notre action, d’autres où le mot désigne simplement que l’idée nous met en face de ce qu’elle annonçait. La méthode pragmatiste est donc bien loin de résoudre le problème pour lequel on l’a imaginée ; au lieu d’aider à éclaircir les idées, elle ne fait qu’ajouter de nouvelles obscurités à celles qui pouvaient déjà exister.

2 La Théorie Pragmatiste Je la Connaissance et de la Vérité. — Mais prenons le mot conséquences au sens que James met en relief lorsqu’il est pressé par les objections, et qui est aussi celui qu’adoptent MM. Schiller et Dewey, à savoir les résultats que fait prévoir l’idée. Ces résultats, en tant qu’ils sont annoncés, déterminent le sens de l’idée ; en tant qu’ils sont le terme où elle nous conduit réellement, ils vérifient l’idéeet même ilsen constituent la vérité. Le grand mérite de notre théorie de la vérité, disent les pragmatistes, c’est qu’elle est entièrement concrète ; on ne perd jamais de vue l’idée et son action depuis le moment où elle n’est encore qu’une prétention à la vérité (daim of truth) jusqu’à celui où cette prétention est justifiée ou rejetée. D’un bout à l’autre nous sommes sur le terrain de l’expérience, car la vérité n’est pas une relation abstraite, mais un phénomène qui se produit dans l’idée, lorsqu’elle devient un principe d’action, lorsqu’on l’applique.

La distinction entre une hypothèse et une proposition vérifiée n’eslpas nouvelle, et, quoiqu’en disent les pragmatistes, la logique classique a toujours tenu compte de la différence. Ce qui est nouveau, mais très contestable, c’est que la vérité soit identique à la vérification, qu’elle consiste dans une opération ou une série d’opérations. Pour nous servir