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THÉOLOGIE MORALE

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D’ailleurs la raison s’y aide de la foi et de la tradition, qui sont aussi ses sources et qui continuent ou contrôlent le travail rationnel.

Que ce ne soient pas seulement des éléments évangéliques ou patristiques, qui soient entrés dans la morale scolastique, on ne voit pas en quoi, à condition qu’ils aient été éprouvés, il y aurait là une cause de faiblesse. Cette morale aurait pu se former en dehors de l’aristotélisme. Mais l’aristotélisme se trouvait sur sa route ; c’était, par sa juste mesure, sa rigueur, sa richesse d’analyses, un précieux héritage du passé ; elle l’a recueilli, l’a utilisé, et se trouve ainsi être une synthèse de trésors humains et divins.

Quant à la forme scolastique, elle a le mérite de la précision et de la clarté : c’est une méthode qui, sous ce rapport, a fait ses preuves. Qu’on en ait abusé quelquefois, que tels auteurs aient excédé en subtilité, qu’ils se soient parfois payés de mots, qu’its aient plus que de raison multiplié définitions et divisions, c’est possible. De quelle méthode ne peut-on faire un mauvais usage ou éprouver les inconvénients ? La condamnera-t-on pour cela et refusera-t-on de voir ses avantages ?

3" Du moins la séparation rigoureuse de la théologie morale et de l’ascétique n’est-elle pas regrettable ? Ne constilue-t-elle pas une cause de faiblesse ou d’amoindrissement ? N’expose-t-elle pas au danger de diminuer la morale chrétienne, de moins apprécier l’idéal chrétien ?

— Le progrès des sciences humaines est conditionné par leur division. Pourquoi une division semblable dans les efforts ne serait-elle pas légitime dans les sciences sacrées ?

Les dangers qu’elle peut présenter en ce qui concerne la morale chrétienne seront évités, si on n’oublie pas d’indiquer les connexions de la théologie morale avec l’ascétique. Il sera bien entendu que l’enseignement de la première ne vise pas à former le directeur complet. Le confesseur, préparé à une partie de sa tâche par le moraliste, s’adressera aux docteurs de l’ascétique pour parfaire sa formation : c’est aux uns et aux autres de ces maîtres à ne pas s’ignorer entre eux et à se regarder non comme des adversaires, mais comme des alliés.

4° Le principal reproche qu’on adresse à la théologie morale vise le développement de sa casuistique,

— développement radicalement mauvais, disent les uns : toute casuistique est une snperfétation inutile ou nuisible ; — développement tout au moins excessif, assurent les autres : il a corrompu la théologie morale en y introduisant une subtilité extrême, une immoralité allant parfois jusqu’à l’obscénité, un laxisme qui risqua, à un moment de son histoire, de lui causer et de causer à la société chrétienne les plus grands préjudices.

Que penser de ce reproche aux éléments multiples ?


a) Malgré le sens défavorable qu’a pris en notre tem, -s le mot de casuistique, il faut d’abord reconnaître qu’il exprime une chose non seulement utile, mais inévitable, nécessaire à la vie morale si on la

de lu conscience personnelle, qu’il est impossible de les soumettre à un jugement extérieur, capable de donner ur leur valeur une appréciation motivée, c’est nier, ici encore, le ministère de la confession et le pouvoir pénitentiel de l’Eglise. Le protestantisme est dans sa tradition en le Taisant ; le catholicisme laisse h Dieu seul le soin de décider en dernier ressort et inf ailliblement ; mais il invite le confesseur à s’aider de sa raison pour juger, le moins mal qu’il peut, l’état et la conduite du pénitent.

veut sérieuse, — et indispensable à tout essai scientifique qui s efforce de régler complètement cette vie.

Le devoir n’est pas toujours simple : il se pose parfois en des termes complexes, avec des circonstances multiples et embarrassantes ; des obligations semblent s’opposer ; se demander comment les accorder, c’est se livrer à un examen casuistique ; consulter quelqu’un de prudent pour avoir son avis, c’est le transformer en casuiste.

« Ali ! je sais bien des gens qui ne font jamais de casuistique, 

écrivait Mgr n’IiuLST dans une des meilleures études qu’on ait jamais composées sur les Provinciales (Mélanges philos, et théol., t. 1, p. 276, à propos du Pascul de J. Bertrand). Ce sont ceux qui ne s’embarrassent guère de la loi morale. Dans toute action qui s’offre à faire, ils escomptent rapidement le profit ou la perte, la louange ou le blâme des hommes, le plaisir ou la peine ; si la balance est favorable, ils passent outre et, 1 action une fois faite, se gardent bien de descendre en eux-mêmes pour écouter la voix intérieure et lui demander si elle approuve ou si elle condamme. Pourceux-lù, point de cas de conscience : tout est permis qui profite ou qui réussit. Voilà leur morale pratique. »

H. Jourdain parlait en prose sans le savoir : que de contempteurs de la casuistique en font — et c’est un honneur pour eux — sans s’en douter !

(( La cusuistique, déclare de son côté, à la suite de t’. Brunetière, M. V. Gikaud (Biaise Pascal, 8. des Deux Mondes, 15 février 1923, p. 429), la casuistique, c’est-idire la science des cas de conscience, est ai peu une invention des Jésuites qu’elle a existé de tout temps et qu’en fait on ne saurait concevoir de morale sans casuistique. .. La vie, la vie sociale surtout, n’est pas simple : elle est un tissu, parfois singulièrement enchevêtré, d’obligations en apparence contradictoires ou tout au moins si différentes les unes des autres, que les esprits les plus droits, les consciences les plus scrupuleuses, — et précisément parce qu’elles sont scrupuleuses, — ne sachant comment résoudre ces antinomies, comment satisfaire exactement à tous ces devoirs, hésiteut, se troublent, appellent à l’aide des âmes plus éclairées, des esprits plus lucides. C’est alors qu’intervient la casuistique. Le casuiste, dont c’est le métier d’étulier les conflits de devoirs et de les résoudre en les conciliant, le casuiste apaise ces consciences inquiètes ; il les délivre des scrupules qui les paralysent ; i ! leur rend le calme et la sérénité : il les fait bénéficier de son expérience théorique et pratique ; il les aide, non pas à tourner la loi, mais à établir une sage hiérarchie entre les devoirs ; il leur suggère les moyens de satisfaire, sans rien outrer, et dans une mesure raisonnable, aux diverses exigences qui s’imposent vraiment à elles ; il leur enseigne à proportionner leur effort au caractère plus ou moins impérieux des obligations que la vie leur apporte. En vérité, il n’y a là rien que de très naturel et de très humain, de très moral même. Et on ne saurait citer une seule morale religieuse qui ne fût accompagnée de quelque ca suistiq : ie. Pour le catholicisme en particulier, dont l’action morale repose presque tout entière sur la confes sion et la direction de conscience, la casuistiqtie fait partie de sa définition même, et les jansénistes iux-mèmes ont dû suivre la règle commune : qu’ils l’aient voulu ou non, Saint-Cyran, Singlin, Arnauld ont été les casuistes de leurs pénitents. Chose plus significative encore : il n’est pas jusqu’aux morales purement rationnelles ou philosophiques, qui ne doivent elles aussi recourir à cette science si décriée. Il y avait une casuistique stoïcienne ; il y a une casuistique kantienne. La casuistique répond à des besoins essentiels et permanents de la nature humaine. .. »

A cette liste des casuistiques historiques on peut ajouter la casuistique rabbinique, qui se perdait dans d’infinis détails. Notre-Seigneur dut aussi trancher les cas de conscience avec lesquels ses adversaires voulaient l’embarrasser (vg. l’impôt payé à César, Mal., xxii, 17) ; et il leur en posa, lui-même (vg. le travail au jour du sabbat (Le, xiv, 7). Dans ses lettres, saint Paul discute et résout les problèmes pratiques des premiers chrétiens ; les Pères agissent de même pour leurs fidèles : une casuistique existait dans l’Eglise avant même la morale