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THOMISME

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tase, col. 4*3-429 et art. Hypostatique (Union), col. 5a4 sqq., par M. l’abbé A. Michkl (1921).

B. — Cajbtan, O. P. (7 1534), » relouché l’interprétation précédente, en développant d’une manière nouvelle le concept de personne. Pour expliquer la condition de la nature individuelle constituée à l’état de personne, il l’ail appel à un mode substantiel de personnalité, en quoi consiste son actualité parfaite. L’humanité du Christ, supposée produite en dehors de l’union au Verbe divin, aurait possédé ce mode. Produite dans l’union hypostatique, elle en est dépourvue ; et c’est bien pourquoi elle n’existe pas comme personne distincte. Cet amendement de Cajetanaété généralement reçu daus l’école dominicaine ; nommons Fbrrariknsis, Mkdina, Bannes, Jran de Saint-Thomas, Billuart, le Card. Zigliara ; de nos jours, les RR. PP. Gardeil et Hcgon. En dehors de l’école dominicaine, les Salmanticknses ; le cardinal Mercier.

L’intention de cet amendement est hautement louable. Il s’agit de mieux expliquer comment, sans détriment de son intégrité naturelle, l’humanité du Christ peut entrer en composition de la personne du Verbe incarné. La solution proposée consacre l’unité d’Etre incréé dans le Christ et fournit, pour la condition impersonnelle de l’humanité du Christ, une raison plausible. C’est tout l’essentiel de la doctrine thomiste. Nous n’avons contre cette explication aucune objection grave ; mais nous ne voyons pas la nécessité d’y recourir. Ce mode substantiel est une entité malaisée à concevoir : c’est un acc’dent, et qui produit son effet dans l’ordre de la substance. On a d’ailleurs quelque peine à définir son rôle. S’il appartient à la nature comme telle, comment son élimination ne porte-t-elle pas atteinte à l’intégrité de la nature ? Et s’il ne lui appartient pas, comment peut-on bien le concevoir parfaisant la nature cumme personne, antérieurement à son évocation à Tordre réel ? L’actuation de l’humanité du Christ par l’Etre du Verbe, avec la relation transcendantale qu’elle comporte, nous paraît répondre d’une manière satisfaisante à toutes les données du problème, sans qu’apparaisse la nécessité d’un tel complément.

C. — F. Suarbz, S. I. (7 1617), a repris la suggestion de Cajetan, mais en l’insérant dans la trame de sa propre ontologie. Comme il n’admet pas la distinction réelle d’essence et d’être, il fait intervenir le mode de personnalité ; non plus, comme Cajetan, dans le domaine de l’essence, antérieurement à son actuation réelle, mais dans le domaine de l’existence, pour parfaire l’essence déjà actuée. Conséquemmentil admet que la nature humaine du Christ ne saurait dépouiller, dans l’union hypostatique, l’être créé qui lui est dû etfaute duquel elle ne serait pas. D’ailleurs, l’Etre incréé du Verbe divin, qui n’exclut pas l’être créé delà nature humaine, exclut le mode de personnalité qui l’aurait revêtue hors de l’union hypostatique. C’est pourquoi le Christ est un.

Il faut savoir gré à Suarez d’un effort sincère et original pour pénétrer le mystère etnelaisser aucune difficulté 6ans éclaircissement. En faisant appel à ce mode de personnalité, parmi tant d’autres qui foisonnent sous sa plume, il s’est montré sensible aux exigences de l’unité du Christ. Mais outre les objections que souiève la suggestion de Cajetan, celle-ci en soulève d’autres, qui nous paraissent beaucoup plus graves. On ne se sent plus sur le terrain de l’ontologie thomiste, que Suarez contredit sur un point fondamental, en admettant que l’humanité du Christ, parfaite dans son être créé, demeure néanmoins en puissance à une nouvelle subsistance,

c’est-à-dire à un nouvel Etre substantiel. Et l’on est en peine d’accorder cette affirmation avec l’affirmation que le Christ est Dieu.

D. — Cl » Tipuainb, S. I. (7 1640. s’inspirant d’idées qui avaient cours dans les écoles dès le xiii’siècle et sur lesquelles DunsScot avait mis son empreinte, donne une version nouvelle d’un système ancien. Ecartant la théorie des modes réels, il conçoit la personnalité moins comme une perfection positive, que comme une pure négation de dépendance. Pour expliquer la rencontre de deux natures dans l’unité de la personne du Christ, il se contente d’affirmer que la nature humaine n’est pas livrée à elle-même, — car, livrée à elle-même, elle serait nécessairement personne ; — mais actuellement dépendante de la personne du Verbe. Par ailleurs,

— ainsi que nous avons eu l’occasion de le noter ci-dessus, — il reconnaît la distinction réelle d’essence et d’être, comme doctrine authentique de saint Thomas, mais il s’en désintéresse et croit n’en avoir pas besoin pour expliquer l’union hypostatique. Car il attribue à l’humanité du Christ un être créé, et il trouve tout simple que cet être créé subsiste, dans l’unité du Composé théandrique, par la propre subsistance du Verbe. L’ouvrage de Tii’hainb, Declaratio ac defensio scholastica doctrinæ SS. Patrum Doctorisque angelici de hypostasi el persona, Mussiponti, 1634, a été réédité à Paris en 1881.

La conception de Tiphaine est simple et claire. Aussi a-t-elle fait fortune, non seulement dans l’école scotiste, qui lui doit le rajeunissement d’un thème constamment repris par elle au xive et au xvi’siècle, mais encore dans d’autres écoles. C’est là un fait considérable, dont il faut nécessairement donner acte et tenir compte, quelques réserves qu’on puisse être amené à faire ultérieurement sur le système tiphanien. Non seulement il y eut toujours des esprits attirés de ce côté, mais il y en eut toujours pour tirer saint Thomas au même sens. Dès le xme siècle, Hervé db Nedellbc (7 1 323), maître général des Dominicains et loyal thomiste s’il en fut, exposait des idées assez semblables et les attribuait au Docteur angélique. Ce sont des idées semblables qu’on retrouve depuis le xvi c siècle jusqu’à nos jours chez de nombreux théologiens jésuites, les uns antérieurs à Tiphaine, comme Molina, les autres postérieurs, comme Pbtau, les Wirceburgbnsis, le Cardinal Franzelin, Stentrup, Chr. Pesch ; de nos jours, les RR. PP. M. Dalmau, De ratione suppositï et personæ secundum S. Thomam, Barcinone, 1923, et P. Galtibr, De Incarnatione, s. 11, c. 2, p. 169-288, Paris, 1926. Parmi les théologiens d’autres écoles, qu’il suffise de nommer le grand Oratorien Thomassin.

Nous aimerions à nous trouver en si bonne compagnie, et à nous y croire en la compagnie de saint Thomas. Malheureusement nous ne le pouvons pas, et beaucoup d’autres théologiens ne le peuvent pas plus que nous. Disons même que, parmi les explications du mystère librement défendues dans les écoles catholiques, celle-ci nous parait, de loin, la moins défendable. Pourquoi, il faut l’exposer franchement. D’ailleurs les tenants de cette théorie exécutent parfois leurs adversaires avec un entrain qui nous met complètement à l’aise pour les payer de retour. La liberté que uous prenons peut paraître une nécessité.

Ce que nous n’arrivons pas à découvrir, dans cette explication de l’union hypostatique, c’est précisément l’union hypostatique. Oh 1 sans doute elle est dans les mots, très loyalement et très expressément atlirmée. Mais qu’elle soit au fond des choses, soit expliquée, soit impliquée, nous ne le voyons pas.