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TOLERANCE

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vraie liberté de conscience, tandis qu’ils meurent pour leur Dieu.

§ III. — La TOLÉRANCE CIVILE

C’est des trois celle qui a fait couler le plus d’encre ; et souvent, par le mot tolérance, on n’entend qu’elle seule.

Sens : comme il est matériellement au pouvoir du gouvernement temporel d’accorder ou de refuser à la religion son appui, il s’agit ici de savoir quelle attitude l’Etat doit avoir envers la religion, et plus particulièrement quelle attitude l’Eglise catholique demande que l’Etat ait envers elle. Avant d’exposer la théorie de l’Eglise, il paraît indispensable de montrer à^travers les siècles l’évolution de la tolérance, car ce sont les faits qui, peu à peu, l’ont fait naitre. Nous partagerons en trois étapes notre course historique. La première ira des débuts du christianisme jusqu’au xvi* siècle, la seconde de la Réforme à la Révolution française, et la troisième jusqu’à nos jours.

A. La tolérance civile jusqu’au XVIe siècle. — a) Dans l’empire romain. — Héritiers d’un despotisme effréné, les empereurs chrétiens ne déposaient pas au moment de leur baptême les traditions absolutistes auxquelles le monde s’était habitué. Ils ne pouvaient pas non plus résoudre une question que leurs devanciers ne s’étaient pas même posée : celle des limites où s’arrêtait leur pouvoir. L’édit de Milan (313) avait consacré l’avènement officiel du christianisme, sans mettre le paganisme hors la loi : Constantin ne demandait qu’aie laisser mourir de sa belle mort. Voir Jules Maurice, Constantin-le-Grand, ch. m et iv., Paris, 1925. Pour la première fois, deux sociétés autonomes, la société religieuse et une société politique, avaient à coexisp ter sur le même territoire. Les fonctions sacrées et les définitions dogmatiques étaient abandonnées aux évêques. Pour le reste, l’empereur chrétien s’arrogeait tout droit dans la société : celui de bannir, suivant ses préférences, les évêques ariens ou catholiques, de convoquer les conciles, de légiférer sur les prêtres et les moines, d’imposer l’unité religieuse. De pareils gestes n’étonnaient alors personne. Comme les empereurs païens avaient traqué les magiciens et les sorciers et même les manichéens, leurs successeurs chrétiens sévirent contre les Donatistes, les Priscillianistes. Si l’on combine les textes juridiques avecce que l’histoire fait connaître de leur application, on peut résumer dans les traits suivants la répression officielle de l’hérésie par les empereurs chrétiens de Rome et de Byzance : 1) les empereurs romains, et déjà Constantin, rêvent de souder l’empire à la religion ; ils voient dans l’unité religieuse une garantie de l’unité politique ; l’orthodoxie doit renforcer le civisme ; 2) cependant ils ne veulent pas, par la contrainte, convertir directement à la foi ; 3) ils s’en prennent au prosélytisme et aux cérémonies cultuelles, beaucoup plus qu’aux erreurs elles-mêmes ; 4) la proscription atteint surtout certaines sectes devenues un vrai péril pour la paix publique ; 5) les lois sont plus terribles dans leur texte que dans leurs effets ; 6) promulguées motu proprîo par le prince, ces lois n’engagent aucunement la responsabilité de l’Eglise. Pour la justification de ces assertions globales, cf. les savants ouvrages de IIinschius, Mommsen, Lobning, cités à la bibliographie. Si l’Eglise approuva la protection que lui accordaient les empereurs, elle ne réclama pas, au nom de la religion, des supplices (Cf. Maillet-Hanqubt, /.’Eglise et la répression sanglante de l’hérésie, Liège, i<)00, ,

p. 25).

ft) Chez les Mérovingiens, les Carolingiens et au

delà. — Les Mérovingiens se préoccupent beaucoup moins de l’unité religieuse. Et la loi romaine des Visigoths ne reproduit que les pénalités fulminées contre certaines sectes : Manichéens, Eunomiens, Montanisles. Charlemagne, quand il promulgue le célèbre capitulaire que nous avons vu plus haut réprouvé par Alcuin, obéit aune préoccupation polique. A cette exception près, la législation carolingienne est hostile à la peine de mort, qu’elle épargne même aux homicides, « et précisément grâce à l’influence de l’Eglise, ce qui montre combien celleci gardait vivace, en entrant dans le moyen âge, ce sentiment de clémence que nous avons constaté chez elle dans l’antiquité chrétienne. » (Maillet-Hanqubt, op. cit., p. 28). A partir du xi° siècle, des sectes antisociales (Cathares, Albigeois, etc.) surgissent, et le danger qu’elles font courir à la Société rallume les bûchers dresses aut-refois contre les Manichéens et les auteurs de maléfices. Pour le rôle de l’Eglise dans cette répression, voir les articles : Inquisition et Saint-Office, puis l’article Hérésie. On peut dire en résumé que jusqu’au xm’siècle, l’Eglise résiste plutôt aux mesures sévères prises contre les hérétiques par les princes ou le peupla. Au xme siècle, le principe de la répression a partout prévalu. Les hérétiques relaps ou obstinés sont mis à mort par le feu (peine établie par Frédéric lien 122^). Tel est le droit qui régit l’Europe jusqu’au temps de la Réforme.

B. La tolérance civiledepnis la Réforme jusqu’à la Révolution française. — A cette époque, on commença à tirer des faits une ou plutôt une multitude de théories de tolérance ou d’intolérance. Voyons séparément les faits et les doctrines de ce temps.

a) Les faits. — Lorsque apparut la Réforme, le principe de la tolérance civile n’était nulle part ni soutenu, ni pratiqué. La Révocation de l’édit de Nantes (voir ce mot) fut l’application de principes de droit public alors indiscutés. Dans sonplaidoyer pour la douceur, qu’il adressa à Louis XIV, M. dkBélbstat disait encore : « On donne pour axiome incontestable que, pour qu’un Etat se maintienne en paix, il faut qu’il n’y ait qu’un roi, qu’une loi, qu’une foi. » Cette intolérance encore était d’espèce politique.

« En France, observe M. Tanon, on considéra les

Réformés comme des criminels qui troublaient l’Etat par leur rébellion contre la religion et leurs conspirations ouvertes ou secrètes. En tantqu’hérétiques, ils tombaient manifestement sous le droit de l’Eglise. Mais ils étaient aussi des séditieux et des rebelles envers la loi, puisqu’ils violaient ses ordonnances ; des perturbateurs du repos public, puisque le bien du royaume et la tranquillité de l’Etat dépendaient principalement de la conservation de la Foi. Ainsi considérée, l’hérésie, qui était le délit commun de la compétence du juge d’Eglise, passait au second plan, et elle était absorbée dans l’attentat contre l’Etat, qui était le délit privilégié, de la compétence exclusive du juge laïque. Le juge d’Eglise ne connaissait plus que des hérésies simples qui ne contenaient ni désobéissance auroi, ni sédition, ni scandale public » {Histoire des tribunaux d’Inquisition en France, p. 353). Charles-Quint, au dire de M. Pirknne, se faisait la même conception de la répression de l’hérésie : c’est un service public, une opération de police contre un nouveau genre de délit. Du côté protestant, il n’en va pas autrement. Là où la Réforme a la puissance, elle se montre impitoyable et cruelle. Rien ne manque aux tribunaux d’Inquisition qu’érigent les calvinistes et les schismatiques d’Angleterre. Les chefs delà Réforme et leurs disciples poussent au massacre et à l’extermination de ceux qui