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N° LII. Lettre au ministre de la Marine, et des Colonies.

Paris, 17 septembre 1824.

Par décision du 21 août, S. Esc. le ministre de l’Intérieur a reconnu, après délibération du conseil d’État (comité de l’intérieur et du commerce), et après s’en être concertée avec votre département, que la déportation prononcée contre les hommes de couleur de la Martinique, ne pouvait être mise à exécution en France, dans les termes où elle a été prononcée.

En conséquence, MM. Thebia, Eriché, Laborde et Millet, ont, le 26 du même mois, été déchargés de la mise en surveillance de la haute police, sous laquelle, par suite de la décision de déportation, ils étaient retenus à Brest ;

La justice commandait une mise en liberté pure et simple, puisque le ministère a eu le temps de se convaincre de la fausseté de l’accusation, et que l’illégalité de la mesure extra-judiciaire de déportation, est démontrée et attestée par tout ce que le barreau offre de plus distingué.

Cependant on les bannit du royaume. Ils se doivent à eux-mêmes de protester contre la légalité de cette mesure ; et c’est ce qu’ils font et feront jusqu’au moment de leur départ. Ils ne sortiront pas volontairement de cette terre de France, où ils croyaient trouver justice et protection, et dont le gouvernement les traite comme des conspirateurs étrangers.

Quoi qu’il en soit, et s’il ne leur est pas donné d’obtenir une autre justice, on a droit d’attendre que la mesure soit généralisée : les trente-cinq infortunés, envoyés au Sénégal, ne seront pas détenus plus légitimement dans cette colonie, que ne l’étaient à Brest, les quatre négocians hommes de couleur, qui ont obtenu d’en sortir. Votre Excellence doit donc donner, à leur égard, les mêmes ordres que Son Excellence le ministre de l’Intérieur vient de notifier à Brest.

Il n’y a rien qui blesse plus la justice, rien qui aille plus directement contre le but de l’association politique, que l’inégalité dans les peines.

Parce que les déportés du Sénégal sont pauvres, ce n’est pas une raison pour qu’on dispose de leur liberté à jamais, et qu’ils soient condamnes à subir une prison perpétuelle, dans les arides déserts et dans le climat brûlant et meurtrier du Sénégal.

On peut éprouver quelques regrets à quitter la France ; jamais on n’en éprouvera aucun à s’éloigner d’une terre si ingrate, où la vie d’ailleurs serait d’autant plus insupportable, qu’on y serait privé de la liberté ; en sorte qu’il n’y aurait aucune différence entre les trente-cinq infortunés que je défends, et les esclaves mêmes de la colonie.

Je viens donc supplier Votre Excellence de faire expédier, par le premier bâtiment qui fera voile pour le Sénégal, à M. le commandant Roger, l’ordre de mettre en liberté les trente-cinq déportés embarqués à bord du Chameau.

J’ai l’honneur de prier V. Exc. de m’accuser réception, etc.