Page:Agnès de Navarre-Champagne - Poésies, 1856.djvu/11

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nos rois animait Chinon, Loches, Blois et Chenonceaux. Jusqu’alors la Touraine, troublée par nos luttes contre l’Anglais, agitée par les guerres de Bretagne, dut avoir peu de loisir à donner aux lettres. Ses beaux jours, ses jours poétiques, se lèvent avec Agnès Sorel et finissent avec les Valois. Pendant cette période, ses tours féodales, ses sombres castels font place a de nobles châteaux, à des résidences princières, encore aujourd’hui sa gloire. Nos rois, nos reines, nos princes, et avec eux l’élite de nos hommes d’Etat, la fleur de nos preux, nos poètes, nos artistes ; et des essaims d’aimables damoiselles, de femmes riches de grâces et d’esprit, de femmes élégantes de mœurs, en possession de tout ce que la nature donne de délicatesse et de distinction, viennent y chercher repos et plaisir. N’est-ce pas cette société brillante qui délia les langes du moyen âge, brisa les liens de la barbarie et prépara la voie où Malherbe devait enfin entrer le premier ? Pendant que Blois et Tours avaient vu grandir leur destinée, qu’était devenue la Champagne ? Avec ses comtes, c’est-à-dire avec le XIIIe siècle, s’était éteint chez elle le mouvement littéraire. Pendant le XIVe siècle, la monarchie malheureuse ne sait où placer son trône ; plus tard, elle s’asseoit aux bords de la Loire, et les lettres la suivent. La Champagne n’a plus de capitale princière, et, si Dieu lui permet de donner encore au pays des hommes de cœur et d’esprit, ils ne brillent plus dans son sein et vont comme tous chercher le souffle central, qui bientôt sera dans Paris. Qu’ils étaient loin de la route suivie par leurs devanciers ! Ceux-ci n’étaient pas réduits à marcher au pas, semblables aux soldats confondus dans les rangs ; capitaines, ils criaient : « En avant ! » et donnaient l’exemple.

Sans doute, la Normandie, la Picardie, la Flandre, le Brabant, travaillèrent avec elle à la formation de notre idiome ; mais le patois wallon nous montre le français à la cour des comtes et le bas allemand dans la bouche du peuple. Les poètes normands travaillaient pour la cour d’Angleterre, et l’événement ne tarda pas à prouver qu’ils n’écrivaient que pour elle seule ; encore un siècle, et le dialecte anglo-saxon relevait sa tête, un instant courbée par la conquête, et faisait prévaloir ses accents inarticulés, ses locutions irrégulières ; poètes et nobles normands savaient parler et chanter : les Saxons sifflaient, et la victoire leur resta. Il n’en est pas de même des Picards, vieux français, braves hommes d’armes,