Page:Agnès de Navarre-Champagne - Poésies, 1856.djvu/15

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ce qu’il avait valu. De fait, il ne songeait pas à sonner le couvre-feu, et l’amour n’était pas encore pour lui de l’histoire ancienne.

Un ami, complaisant député d’Agnès, vint discrètement le prévenir qu’une jeune et belle princesse, éprise de son renom sans tache, éprouvait pour lui la passion la plus sincère. Il lui remit une gracieuse lettre et un rondeau flatteur qui renfermait la déclaration la plus tendre. Machault se demande s’il rêve ; cependant son amour-propre le rassure : son cœur remonte aux illusions de ses jeunes années, son imagination s’exalte, elle accepte ce que la raison devait refuser. Il rentre dans la carrière des galantes aventures. La goutte, par un malencontreux hasard, retenait alors le poète sur son lit de douleur. Aussi, fût-ce par correspondance que se nouèrent des relations destinées à peser sur le reste de ses jours.

Machault, sans doute, eût pu reculer ; mais enfin il n’avait pas choisi son rôle. Il était provoqué. Libre de fait et de droit, il pouvait accepter le duel d’amour ; et qui l’aurait accusé d’avoir mal choisi ?

Mais en était-il de même d’Agnès ? Quels motifs pouvaient conseiller une liaison sans amour, où, pour elle, tout était disproportionné ? Quel brave capitaine, quel noble duc, quel beau et jeune cavalier n’eût été fier d’un seul de ses regards ? Plaisirs, chansons à danser, fêtes, gaieté, tous les trésors de bonheur que donnent la jeunesse et la santé, vivaient autour d’elle ; et cependant elle offrait son estime, ses affections à Guillaume de Machault, officier de plume, laid, infirme, fatigué par l’âge et le travail. Était-ce ce que dans le monde on nomme un caprice ? Sa position, sa jeunesse, son esprit la garantissaient d’un pareil travers ; Machault avait trop de dignité pour s’y prêter ; ses cheveux gris, ses infirmités le lui défendaient. Était-ce un badinage dont une jeune princesse crut pouvoir, pendant quelque temps, amuser ses loisirs, et dont fut victime un poète dont le cœur avait eu le tort de ne pas vieillir ?

Agnès fut-elle conduite à sourire au vieux trouvère par une de ces sympathies que fait éclore la communauté de goûts, d’études et d’inspirations ?

Nous l’avons dit, elle avait reçu l’éducation qu’on pouvait donner alors aux nobles damoiselles ; elle aimait la littérature des trouvères ; elle savait leurs chansons ; les romans de chevalerie lui étaient familiers : elle les citait avec à-propos,