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PREMIER DIALOGUE.

geur qui le raconte. Quant à Gœthe, sans se nommer il se fait assez connaître dans son héros. Tout ce qu’il a senti, rêvé, pensé, voulu, écrit déjà dans ses ouvrages antérieurs, il le met dans la bouche du docteur Faust. Sous ce masque transparent, il nous livre le secret de sa vie, son idéal. Et c’est ici, Élie, que la ressemblance devient surprenante. À travers un intervalle de cinq siècles, chez des hommes dont vous avez justement signalé l’extrême opposition de race, de nature et de condition, cet idéal où tendent les aspirations de Faust et qui resplendit dans les visions de Dante, est exactement le même : c’est l’amour infini, absolu, tout-puissant de l’éternel Dieu, attirant à soi, du sein des réalités périssables de l’existence finie, l’amour de la créature mortelle. Et, chez tous les deux, c’est l’être excellemment aimant, c’est la femme, vierge et mère, qui sert de médiateur entre l’amour divin et l’amour humain ; c’est Marie pleine de grâce, vers qui montent les prières exaucées de Béatrice et de Marguerite ; c’est la Mater gloriosa, la reine du ciel, qui accorde à Dante la vision des splendeurs, à Faust la connaissance de la sagesse de Dieu. La Comédie de Dante et la tragédie de Gœthe ont un même couronnement. Le dernier vers du poème dantesque célèbre l’amour qui meut le soleil et les étoiles. « L’amor che muove il sole e l’altre stelle. » Le chœur mystique par qui se termine le poëme gœthéen chante « l’Éternel-Féminin, » « Das Ewig-Veibliche, » qui nous élève à Dieu. Seraient-ce là, Viviane, des analogies qu’il m’ait, fallu chercher d’un esprit de paradoxe ?