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DANTE ET GŒTHE.

ration devant la madone de Cimabue, courir au palais du roi Charles et l’entraîner avec lui, « à tumulte de joie, » a tumulto di gioja, aux jardins solitaires, à l’atelier du peintre ; puis quelques jours après, porter en triomphe cette Vierge d’invention nouvelle, telle qu’on n’en avait point encore vue, disent les chroniqueurs, et la placer sur l’autel, dans l’église qui porte son nom, avec le plus gracieux et le plus florentin des attributs : Sainte Marie de la fleur, Santa Maria del fiore. C’est pour plaire à cette démocratie magnifique, qui voulait la gloire et savait la donner, qu’Arnolfe Lapi construisait, non loin des nobles maisons des Uberti, renversées par le courroux populaire, un édifice qu’on nommait lePalais du Peuple. C’est pour elle encore qu’il bâtissait Santa-Croce, ce panthéon italien qui devait un jour abriter les monuments funèbres de Machiavel, de Galilée, de Dante, de Michel-Ange, d’Alfieri, de Cavour. C’est sur l’ordre des marchands de laine que le grand architecte avait jeté, pour l’église de Santa Maria del fiore, des fondements solides à ce point que, deux siècles plus tard, Brunelleschi n’hésitait pas à leur faire porter cette coupole fameuse dont Michel-Ange, en ses rêves de gloire, désespérait de surpasser la hardiesse. C’est pour enlever les suffrages de ce peuple épris du beau que la sculpture, l’art des mosaïstes et des enlumineurs, la musique, dans les cloîtres et hors des cloîtres, parmi les disciples d’Épicure et la gaie milice des frati Gaudenti, célébraient à l’envi l’amour divin et l’amour profane, et, dans leur élan juvénile, rivalisaient d’inventions charmantes.