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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

pris part au combat, amusent leur désœuvrement et signalent leur zèle par des perquisitions et des arrestations, dont leur caprice est la seule règle et l’unique prétexte. Au bout de quelques jours, l’autorité est si embarrassée de ses prisonniers, le danger de pareilles agglomérations d’hommes dans des espaces étroits et insalubres devient tel, qu’elle en fait relâcher, sans examen, plus de la moitié[1].

On craignait aussi, malheureusement ce n’était pas sans raison, que les ressentiments de la garde nationale ne la portassent à de tristes excès. Les factionnaires en sentinelle devant le caveau de la terrasse du bord de l’eau, dans le jardin des Tuileries, où quinze cents personnes sont entassées dans une boue fétide, ont tiré sur ces malheureux qui se disputaient les places voisines des soupiraux par lesquels leur venait un peu d’air et de lumière. Pour contenir les gardes mobiles, quelques officiers leur ont laissé entendre que l’on procéderait incessamment à des fusillades en masse[2]. La peur inouïe qu’inspiraient aux bour-

  1. Selon le rapport de la commission d’enquête, sur vingt-cinq mille personnes arrêtées pendant l’insurrection et immédiatement après, on n’en garda, au bout de quelques jours, que onze mille cinquante-sept.
  2. On a parlé beaucoup de fusillades qui auraient eu lieu après le combat ; aucun des récits que j’ai entendus n’établit à cet égard de faits positifs. Selon les témoignages les plus dignes de foi, on compterait environ cent cinquante insurgés fusillés par la troupe ou la garde mobile. M. Louis Blanc, qui n’est pas suspect d’indulgence pour les vainqueurs de juin, a constaté en termes énergiques le caractère purement individuel de quelques actes odieux. « Pas de responsabilité collective, pas d’accusations généralisées, s’écrie-t-il ; grâce au ciel, il n’est pas de classe en France à qui l’on puisse légitimement imputer de tels excès ; ils furent l’œuvre de forcenés, dignes d’être reniés par tous les partis, mais à qui, malheureusement, l’état de siége, la stupeur publique, la colère et la peur des uns, la douleur des autres, livrèrent une odieuse puissance. » (Nouveau Monde, no 6, 1er  mars 1851). Nulle part, quoi qu’on en ait dit, ces exécutions ne se firent sur l’ordre, ni même avec la tolérance des chefs. Le général Bedeau, M. Guinard et d’autres officiers supérieurs firent des efforts inouïs, pour sauver les prisonniers. Sur la place de l’Hôtel de Ville, MM. Marrast et Edmond Adam luttèrent avec les gardes mobiles pour leur arracher leurs victimes.