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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

premier banquet du Château-Rouge, jusqu’au banquet de Rouen[1], le dernier qui eut lieu avant l’ouverture des Chambres, le mécontentement dont ces manifestations furent l’expression bruyante, sauf les violences accidentelles dont j’ai parlé, ne fut autre que le mécontentement de ce pays légal qui s’était laissé entraîner sans trop de peine à la corruption, mais qu’on avait contraint d’en rougir et qui, maintenant, indigné de sa propre indignité, voulait rentrer dans la décence du gouvernement parlementaire. L’erreur du ministère fut de croire la classe moyenne plus avilie qu’elle ne l’était. Une certaine fleur de probité était, à la vérité, flétrie chez elle, mais la racine n’était point atteinte. Au moment où on la croyait énervée et sans pudeur, la bourgeoisie se redressait et demandait compte de son honneur entaché à ceux qu’elle avait commis à sa garde. En exigeant la réforme, la bourgeoisie entendait surtout appeler au pouvoir des hommes intègres, assez énergiques pour résister aux volontés de ce roi qu’elle avait longtemps aimé comme l’expression fidèle de ses propres tendances, mais qui lui devenait suspect depuis qu’elle voyait les finances gaspillées, l’administration vénale, et le soin de l’intérêt dynastique l’emporter sensiblement sur l’intérêt national. Toutefois, il était loin de sa pensée de vouloir ébranler la monarchie ; elle ne sentait pas derrière elle la force populaire qui la poussait ; son instinct politique engourdi ne l’avertissait pas. Elle ne se rappelait point cette logique révolutionnaire, si prompte et si invincible, dont notre histoire fournit tant d’exemples, et qui allait l’entraîner bien au delà du but très-rapproché que s’était proposé sa probité révoltée.

Quant au peuple, il était mû par le même sentiment que la bourgeoisie, et c’est ce qui fit leur accord momentané. Seulement, au lieu de concentrer son indignation et son mépris sur la personne du roi et de quelques ministres, il

  1. Ce banquet, présidé par M. Odilon Barrot, avait réuni 1 700 électeurs.