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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

M. Barrot remonta à la tribune, et ce fut pour y balbutier des paroles bien peu dignes d’un chef de parti en des conjonctures aussi graves. « J’avoue hautement l’intention du manifeste, dit M. Barrot, mais j’en désavoue les expressions. » De violents murmures couvrirent sa voix. Alors il reprit son argumentation précédente et rejeta de nouveau la responsabilité sur le ministère. « S’il me fallait des preuves pour justifier la conduite du gouvernement, s’écria M. Duchâtel, à qui le chef de l’opposition venait de faire si beau jeu, je les trouverais dans les paroles mêmes de l’honorable M. Odilon Barrot. » Ce manifeste que M. Barrot n’avoue ni ne désavoue, est-ce un sujet de sécurité pour nous ? dit le ministre ; et, après un court développement de ce qu’il avait déjà soutenu à la tribune, il persiste dans ses conclusions.

Trop agitée pour reprendre la discussion sur la banque de Bordeaux, la Chambre s’ajourne au lendemain.

Le soir, une réunion eut lieu chez M. Odilon Barrot. Les députés réformistes, les membres du comité central et les journalistes de l’opposition s’y rendirent. M. Barrot leur déclara, au nom de ses collègues, que l’opposition dynastique, décidée à éviter l’effusion du sang, ne se rendrait pas au banquet. M. Marrast répondit qu’on s’était avancé trop loin pour reculer. « Vous voulez rejeter sur le ministre la responsabilité des émotions que vous avez créées, dit M. Marrast. Qui donc a convoqué le peuple pour demain sur la place publique, si ce n’est vous et nous ? Vous redoutez la guerre civile ? Eh bien votre présence seule peut l’empêcher, votre absence doit la provoquer, et plus vous fuirez la responsabilité, plus elle retombera lourdement sur vous. »

M. Barrot et la plupart de ses collègues restèrent inébranlables dans leur projet de s’abstenir.

Sur cent membres inscrits pour assister au banquet, dix-sept seulement persistèrent dans leur première résolution, et sur ce nombre encore dix déclarèrent que, malgré leur opinion personnelle, ils croyaient devoir se ranger à l’avis