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HISTOIRE

teaux d’armes pour enfoncer les barricades, de pétards pour incendier les maisons, sont cantonnés dans Paris ou dans le voisinage[1]. Les garnisons de Vincennes et du Mont-Valérien sont prêtes à marcher au premier signal. Canons, caissons, gargousses, sabres et baïonnettes, tout est là en profusion. Deux fils du roi animeront de leur présence la troupe, dont l’esprit est excellent, dit-on. Le duc de Nemours a le commandement supérieur de la force armée. Le général Sébastiani commande la division et s’entendra au besoin avec le général Jacqueminot, commandant en chef de la garde nationale[2]. Toutefois on préférerait se passer de la milice citoyenne ; on a quelque raison de se méfier d’elle, et puis ne dispose-t-on pas d’une armée suffisante, plus que suffisante pour disperser, écraser à elle seule les séditieux ? La perspective d’une collision n’a donc rien d’alarmant, bien au contraire. Après avoir déployé une habileté consommée dans la bataille parlementaire, on fera preuve d’énergie et de résolution dans la bataille des rues. Quoi de plus souhaitable ? quoi de mieux calculé pour affermir le ministère, le trône, la dynastie ? C’est ainsi que l’on raisonne, et non sans avoir pour soi les probabilités, du moins les petites probabilités de la sagesse vulgaire.

Cependant, dès sept heures du matin, une foule inaccoutumée se répand dans les rues. Ce sont des ouvriers qui ne vont point au travail, des femmes, des enfants, des curieux

  1. On sait qu’en 1830 il se trouvait à peine 12,000 hommes, et très-mal approvisionnés, dans Paris.
  2. Cette entente était rendue fort difficile par les relations très-peu bienveillantes qui existaient entre les deux officiers supérieurs. Le général Sébastiani était peu propre à ce commandement. D’un caractère sans initiative et sans autorité, il n’avait, d’ailleurs, aucune expérience de la guerre des rues. Le choix du général Jacqueminot pour commandant de la garde nationale n’était point judicieux. Le général Jacqueminot n’avait guère d’autre titre à ce poste important que d’être allié à M. Duchâtel. Le monde parisien ne connaissait de lui que son goût prononcé pour les facéties. Au surplus, il était indisposé, et son inactivité habituelle se trouvait, à ce moment, encore alanguie par le malaise.