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HISTOIRE

de ligne paraissent à la gauche de la Madeleine et se rangent en bataille sur la chaussée. Un murmure hostile les accueille.

Pourquoi cet appareil militaire ? que faisons-nous de répréhensible ? depuis quand n’est-il plus permis de causer sur la place publique ?– Ces propos et d’autres plus hardis circulent dans les groupes. Mais, silence ! quelles sont ces voix lointaines qui retentissent soudain ? quel est ce chant bien connu qui se rapproche, vibre, éclate ? C’est la Marseillaise entonnée à pleine poitrine par une colonne de sept cents étudiants qui débouchent sur la place en deux rangs serrés, dans l’attitude la plus résolue. La vue de ces jeunes gens aimés du peuple et les fiers accents de l’hymne révolutionnaire font tressaillir la multitude. Une acclamation de surprise et de joie électrise l’atmosphère. Deux fois les étudiants font le tour de l’église en échangeant avec les ouvriers des paroles de haine contre le gouvernement et de provocation à la révolte. Leur contenance ferme, leurs évolutions régulières donnent aux rassemblements incohérents je ne sais quel sentiment de discipline. Le peuple se sent conduit, et, par une impulsion instinctive, le flot demeuré incertain, presque immobile jusque-là, s’ébranle dans une même direction. Il se pousse en avant, par la place de la Concorde, vers le palais Bourbon. D’un attroupement de curieux et de désœuvrés la présence des étudiants fait une manifestation politique. Un moment auparavant les commissaires des écoles s’étaient présentés chez M. Odilon Barrot, qui n’était pas chez lui. Son nom exprime encore à cette heure les prétentions extrêmes de la rébellion.

Sans trop bien se rendre compte de ce qu’elle peut vouloir, mais vaguement décidée à demander justice, la colonne populaire s’avance en bon ordre. Elle traverse sans opposition la place de la Concorde ; mais, à l’entrée du pont, un peloton de gardes municipaux, sorti du poste de la terrasse du bord de l’eau, lui barre le passage en croisant la baïonnette. La foule s’arrête, hésite. Un jeune