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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Des scènes plus vives se passaient presque simultanément devant le ministère des affaires étrangères, à la Bourse, au Palais-Royal et sur la place de la Bastille. S’apercevant enfin qu’il est sans armes, le peuple arrache les grilles de l’Assomption, de Saint-Roch, du ministère de la marine ; il enfonce et pille la boutique de Lepage[1] et de plusieurs autres armuriers. La vue de ces sabres, de ces fusils étincelants, l’exalte. Le mot de barricade est prononcé. Aussitôt les plus audacieux se mettent à la besogne. Les premières tentatives sont faites rue Saint-Florentin, rue Duphot et rue Saint-Honoré, où, après avoir renversé un omnibus, on descelle les pavés avec les barreaux de fer enlevés aux grilles des palais. Une charge de cavalerie disperse immédiatement les travailleurs. La voiture est relevée, les pavés sont remis en place par les soldats, paisiblement, sans colère ; il est aisé de voir qu’il n’y a de part et d’autre aucune animosité réelle. Des essais analogues se font, mais sans plus de succès, sur quelques autres points[2]. Dès que la cavalerie charge, les barricades sont abandonnées ; ce n’est encore qu’une mutinerie.

Le peuple, sans chef, sans dessein préconçu, se plaît

    leur enleva, pendant les deux premiers jours, leurs uniformes et leurs épées ; ils ne sortirent, le troisième jour, qu’avec l’autorisation de leurs chefs pour aller aider la garde nationale à rétablir l’ordre.

  1. Rue Richelieu, en face du Théâtre-Français. La police avait prévu que les magasins d’armes seraient attaqués, et avait exigé que la plupart des armes à feu fussent démontées. Le peuple pilla aussi, ce jour-là, rue de Bondy, un magasin d’armes de théâtre et de fantaisie ; le vestiaire de l’Ambigu fut également pillé. De là les équipements grotesques que l’on put remarquer dans quelques bandes de combattants, qui s’étaient emparés au hasard de casques et de lances du moyen âge, de yatagans, de poignards et de hallebardes ; on en vit qui brandissaient des arcs indiens ; d’autres qui portaient aux barricades des bannières héraldiques.
  2. Cela se passait très-poliment, avec courtoisie. On arrêtait les voitures publiques ou particulières, on aidait les personnes qui s’y trouvaient à en descendre, les chevaux dételés étaient remis aux mains du cocher, puis, la voiture renversée, on commençait à dépaver tout autour.