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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Mais tout d’un coup ils respirent, ils se sentent soulagés d’un poids énorme. Une bonne nouvelle leur est apportée. On entend partout battre le rappel. La garde nationale se rassemble ; elle va trancher le nœud de cette situation pénible et inexpliquée. En effet, après de longues hésitations, beaucoup de paroles inutiles, d’ordres et de contre-ordres embarrassés, le duc de Nemours, le général Sébastian et le général Jacqueminot, réunis à l’état-major dans une inactivité solennelle et dans une ignorance incroyable du véritable état des choses, donnaient, ou plutôt se laissaient arracher l’ordre tardif de convoquer deux bataillons de gardes nationaux par légion ; mais cet ordre ayant été transmis directement, les maires n’en furent point instruits. En sorte que les gardes nationaux, arrivant aux mairies, n’y trouvèrent ni instruction ni direction d’aucune espèce. Livrées à elles-mêmes, les légions s’avancent partout en criant : Vive la réforme ! S’emparant ainsi du rôle de médiatrices, elles vont empêcher qu’on ne tire sur le peuple, bien persuadées qu’il ne veut que ce qu’elles veulent elles-mêmes. Par leur contenance décidée, elles forceront le pouvoir à des concessions utiles. Maîtresses de la situation, elles renverseront le ministère conservateur, humilieront le roi, exigeront un cabinet présidé par M. Thiers ou M. Molé, puis elles feront rentrer dans ses foyers la foule mutinée. Tel est le programme que se trace à elle-même la garde nationale, le mercredi, 23 février, dans la matinée.

Ces dispositions se manifestent immédiatement et occasionnent sur plusieurs points des scènes très-vives. Le colonel de la dixième légion, M. Lemercier, haranguant le quatrième bataillon qui stationnait rue Taranne, et l’exhortant à marcher pour le rétablissement de l’ordre : « Il ne s’agit pas seulement de rétablir l’ordre, s’écrie M. Bixio en sortant des rangs, mais de faire chasser un ministère infâme. » Un cri : À bas Guizot ! éclate à ces paroles. Le colonel, irrité, saute à bas de son cheval et s’adresse indivi-