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HISTOIRE

nement, l’absence de la garde nationale, et cet étonnement était d’autant plus grand, d’autant plus pénible, qu’on savait que l’ordre de la convoquer avait été donné lundi, dans la soirée. Il serait donc vrai que, dans la nuit du lundi au mardi, cet ordre aurait été révoqué. Ce n’est qu’hier, à cinq heures, que le rappel a été battu dans quelques quartiers pour réunir quelques gardes nationaux. Dans la journée, la population de Paris a été livrée au péril qui l’entourait, sans la protection de la garde civique. Des collisions funestes ont eu lieu, et elles auraient été prévenues peut-être si, dès le commencement des troubles, on avait vu, dans nos rues, sur nos places, cette garde nationale, dont la devise est : Ordre public et liberté. Sur un fait aussi grave, je prie MM. les ministres de nous donner quelques explications. »

M. Guizot se lève et se dirige lentement vers la tribune. Sa respiration est comme étouffée par un poids intérieur ; mais un effort de volonté enfle sa voix. Il se compose un maintien superbe et prononce, au milieu d’un silence imposant, ces quelques paroles — « Messieurs, je crois qu’il ne serait ni conforme à l’intérêt public, ni à propos pour la Chambre d’entrer en ce moment dans aucun débat sur ces interpellations. » — Une explosion de murmures l’interrompt. L’opposition croit qu’il a recours, une fois de plus, à ces refus hautains de s’expliquer, si longtemps soufferts par la Chambre, mais qui ne conviennent plus à sa fortune chancelante. M. Guizot attend que la rumeur se calme et répète mot pour mot ce qu’il vient de dire, puis il ajoute : — « Le roi vient de faire appeler en ce moment M. le comte Molé pour le charger… » D’impertinents applaudissements, partis des deux extrémités de l’hémicycle et des tribunes, couvrent sa voix. « La Chambre doit garder sa dignité, » s’écrie M. Barrot. — « L’interruption qui vient de s’élever, reprend M. Guizot, ne me fera rien ajouter ni rien retrancher à mes paroles. Le roi vient d’appeler en ce moment M. le comte Molé pour le charger de former un nouveau cabinet.