Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 1.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
209
DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

dement c’était s’aliéner la force morale qui pouvait, en soutenant le nouveau ministère, produire quelque impression sur le peuple et donner du prix à la concession tardive qu’on se décidait à lui faire.

Il y avait, dans ces deux mesures si opposées, faiblesse et provocation, défaut d’habileté et défaut de franchise. Le plus prudent des rois et le mieux expérimenté semblait avoir perdu soudain, avec le sentiment de son droit, le sens politique.

Étrange spectacle, que l’histoire ne reproduira peut-être jamais, d’une révolution qui s’accomplit dans la conscience du souverain, brise sa volonté et abat son génie, avant même que la révolution du dehors ose se nommer de son nom véritable au peuple qui la fait, comme à celui qui la subit.

Vers une heure du matin, le maréchal Bugeaud, suivi des généraux Rulhières, Bedeau, Lamoricière, de Salles, Saint-Arnault, etc., se rendait à l’état-major des Tuileries, pour y prendre le commandement de la force armée. En le lui remettant, selon la forme exigée par l’étiquette, le duc de Nemours lui recommanda, par quelques paroles laconiques, les officiers réunis autour de lui, puis il assista passivement aux dispositions que prit aussitôt le maréchal, avec la promptitude de décision qui lui était propre. Celui-ci, par une allocution vive et brusque, par une certaine verve gasconne et soldatesque, ranima tout d’abord tes visages défaits. Il rappela aux officiers présents que celui qui allait les conduire au feu n’avait jamais été battu, ni sur le champ de bataille, ni dans les émeutes, et promit que, cette fois encore, une prompte victoire allait faire justice d’un tas de rebelles. « Si la garde nationale est avec nous, dit en unissant le maréchal, tant mieux ; sinon, eh bien ! messieurs, nous nous passerons d’elle. »

Comme il terminait cette courte harangue, qui, dans toute autre bouche que la sienne, n’eût paru qu’une fanfaronnade, M. Thiers entra d’un air soucieux ; sa conte-