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HISTOIRE

On n’était pas encore parvenu à s’entendre sur ce point capital, que le jour paraissait, éclairant de ses froides lueurs la plus étonnante mêlée, le plus inextricable chaos de volontés, de colères, d’espérances et de terreurs qui ait peut-être jamais ébranlé une société en proie à des puissances inconnues, dont elle ne sait ni combattre ni diriger l’action fatale.

Paris était hérissé de barricades[1] gardées, presque toutes, par des chef républicains ; elles s’avançaient menaçantes depuis les faubourgs les plus reculés jusqu’aux abords des Tuileries[2]. Les arbres des boulevards étaient abattus ; les rues, dépavées, jonchées de fragments de verres et de vaisselles, étaient devenues presque impraticables pour l’artillerie et la cavalerie. Les corps de garde, les bureaux d’octroi, les guérites, les bancs étaient renversés, brûlés, brisés en mille pièces ; toutes les boutiques fermées. Des monceaux de cendres, vestiges des feux de bivouacs, ajoutaient encore à la tristesse de ce spectacle. Insurgés, gardes nationaux, jeunes gens des écoles, descendaient tumultuairement sur les places et dans les rues, se communiquant, avec d’égales marques de réprobation, la nouvelle de la nuit : la nomination du maréchal Bugeaud. Ce nom, voué à l’exécration de la population parisienne, effaçait de son sinistre éclat tous les autres ; c’est à peine si, dans les rassemblements, on daignait écouter les voix bien intentionnées qui parlaient d’un ministère conciliateur et croyaient arrêter l’irritation en nommant M. Odilon Barrot. Les proclamations en petit nombre et non signées qu’on tentait de placarder sur les murs étaient aussitôt lacérées et foulées aux pieds. Partout où se réunissait la garde

  1. On en a évalué le nombre à 1512.
  2. Vers neuf heures du matin, des coups de fusil furent tirés de la rue de l’Échelle sur les fenêtres de l’appartement occupé par les jeunes princes, fils de la duchesse d’Orléans. On se hâta de transporter les pauvres enfants, tout étonnés d’un tel réveil, dans le corps de logis du milieu.