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HISTOIRE

concours des légions lui manquerait[1]. Il consentit donc sans peine à attendre de nouvelles instructions, et demeura à la tête de ses troupes dans un état facile à concevoir, craignant tout à la fois que trop ou trop peu de zèle de la part de ses soldats, tour à tour circonvenus ou provoqués par le peuple, ne le jetât dans une de ces situations désespérées où, quel que soit le succès, il ne saurait étouffer le remords. Il comptait les minutes de cette heure d’angoisse qui ne voulait pas finir.

Le fabricant avait cependant franchi tous les obstacles ; et, accompagné de M. Courpon, officier d’état-major de la garde nationale, il arrivait hors d’haleine à l’état-major des Tuileries, et demandait à parler au maréchal Bugeaud.

Après quelques minutes d’attente, il fut introduit. Le maréchal écouta son récit avec une visible défiance et donna à plusieurs reprises des marques d’incrédulité ; mais M. le duc de Nemours et M. Thiers, présents à l’entretien, par un silence approbateur, l’encourageaient à continuer. Pénétré, avec toute la bourgeoisie parisienne, de l’unique pensée d’arrêter l’effusion du sang, le fabricant fit au maréchal un tableau animé de la situation déplorable où se trouvait la troupe, aux prises avec une immense masse populaire entraînée par les passions les plus exaltées ; il lui représenta l’horreur des massacres qu’il regardait comme certains, si la troupe engageait le combat, et s’efforça de lui démontrer que la conciliation était encore, non-seulement possible, mais assurée, si on laissait agir seule la garde nationale. Puis, se tournant vers M. le duc de Nemours qui paraissait pencher vers cet avis : « Monseigneur, lui dit-il avec animation, joignez-vous à moi pour obtenir la retraite des troupes. Ne souffrez pas qu’une tache de sang souille le nom de votre

  1. Les gardes nationaux demandaient toujours si la réforme était accordée ; et comme le général répondait qu’il l’espérait, mais qu’il ne pouvait le garantir, on lui déclarait qu’à ce prix seulement la garde nationale se joindrait à la troupe.