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HISTOIRE

versent. Entraîné par ses amis, M. Barrot retourne sur ses pas, le cœur navré, convaincu enfin, mais trop tard, qu’il a contribué à déchaîner des éléments que ni lui ni personne ne sauraient plus conjurer, et prenant avec lui-même, dans l’amer repentir de son for intérieur, la résolution de tout risquer pour sauver le roi, ou, du moins, si le roi ne peut être sauvé, la dynastie.

L’ordre signé du maréchal Bugeaud venait, en effet, d’anéantir la dernière chance de salut qui restât au gouvernement de Louis-Philippe. Quand le général Bedeau, décidé à se replier sur la place de la Concorde par les boulevards, fit opérer à sa colonne le mouvement de retraite[1], le peuple remplit l’air de ses acclamations. Vive la ligne ! criait-on de toutes parts, avec un élan qui allait au cœur du soldat ; et la multitude, pressant les flancs de la colonne, engageant des colloques, essayant de fraterniser, embarrassait une marche rendue, d’ailleurs, très-pénible par le grand nombre de barricades qui, détruites le matin, avaient été relevées dans l’intervalle. Les soldats, en passant, échangeaient avec les citoyens qui gardaient ces remparts de la liberté des poignées de mains et des félicitations sur l’heureuse issue de la guerre civile. La cavalerie et l’artillerie ne traversaient qu’avec une difficulté extrême ces masses de pavés à peine dérangés.

Toutes ces démonstrations, toutes ces entraves allongeaient indéfiniment la colonne. Le général Bedeau, qui marchait en tête, pensif, inquiet, voyait, sans pouvoir l’empêcher, une fraternisation si peu conforme à la discipline. Il touchait à la rue de la Paix, quand l’arrière-garde, commandée par le général de Salles, fut arrêtée à la hauteur de la rue de Choiseul par un encombrement tumultueux. Le peuple ne voulait plus laisser passer les canons et se mettait en devoir de les dételer. Les soldats résistaient

  1. Une compagnie de la garde nationale la précédait pour mieux indiquer l’intention pacifique de ce mouvement.