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Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 1.djvu/282

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HISTOIRE

cesses. Elles fardent leurs joues, couvrent leurs épaules de dentelles et de fourrures, ornent leurs têtes d’aigrettes, de bijoux, de fleurs ; elles se composent avec un certain goût burlesque des parures extravagantes. L’une d’elles, une pique à la main, le bonnet rouge sur la tête, se place dans le grand vestibule et y demeure, pendant plusieurs heures, immobile, les lèvres closes, l’œil fixe, dans l’attitude d’une statue de la Liberté : c’est une fille de joie. On défile devant elle avec toutes les marques d’un profond respect. Triste image des justices capricieuses du sort : la prostituée est le signe vivant de la dégradation du pauvre et de la corruption du riche. Insultée par lui dans les temps prétendus réguliers, elle a droit à son heure de triomphe dans toutes nos saturnales révolutionnaires. La Maillard travestie en déesse Raison, c’est l’ironique symbole de l’honneur populaire outragé, abruti, qui se réveille en sursaut dans l’ivresse et se venge.

Enfin, vers trois heures, le trône, incessamment foulé aux pieds par les insurgés, qui avaient tous voulu y monter à leur tour, est enlevé à bras et descendu par le grand escalier dans le vestibule du pavillon de l’Horloge. On prépare une marche triomphale. Des tambours battent de fantasques roulements. Deux jeunes gens, montés sur de beaux chevaux des écuries royales, prennent la tête du cortège ; le fauteuil est porté sur les épaules de quatre ouvriers, que suit une foule nombreuse. On traverse ainsi le jardin, la place de la Concorde et toute la ligne des boulevards. Une multitude armée de piques au bout desquelles pendent des lambeaux de pourpre, de damas, de brocart, des habits de cour, des livrées, brandissant des baïonnettes et des sabres auxquels sont enfourchés des quartiers de viande, de pain, de lard, des bouteilles vides enlevées aux cuisines et aux caves royales, s’avance en chantant la Marseillaise. À chaque barricade, elle fait halte, et le trône, posé sur des assises de pavés, sert de tribune à quelque harangueur populaire. Enfin, parvenu à la Bastille, on le place au pied de