Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 1.djvu/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
289
HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

tendu, répétez, répétez ! » s’écrie-t-on dans la foule. De violents murmures éclatent dans les groupes populaires les plus rapprochés, qui croient que M. de Lamartine va conclure en faveur de la régence. Un vieillard à longue barbe blanche, un sabre nu à la main, debout au pied de la tribune, attache sur lui un regard fixe et menaçant. On entend au dehors une sourde rumeur.

« Je demande, reprend l’orateur, qui s’aperçoit de l’effet produit par l’ambiguïté de ses paroles, à répéter ma phrase. » Puis il continue en ces termes, fréquemment interrompu par des applaudissements : « Je demande à répéter ma phrase, et je vous prie d’attendre celle qui va la suivre. Je disais, messieurs, que j’avais partagé aussi profondément que qui que ce soit dans cette enceinte le double sentiment qui l’avait agitée tout à l’heure. Et ici je ne fais aucune distinction, car le moment n’en veut pas, entre la représentation nationale et la représentation des citoyens de tout le peuple ; et, de plus, c’est le moment de l’égalité, et cette égalité ne servira, j’en suis sûr, qu’à faire reconnaître la hiérarchie de la mission que des hommes spéciaux ont reçue de leur pays pour donner non pas l’abaissement, mais le premier signal du rétablissement de la concorde et de la paix publiques.

« Mais, messieurs, si je partage cette émotion qu’inspire ce spectacle attendrissant des plus grandes catastrophes humaines, si je partage le respect qui vous anime tous, à quelque opinion que vous apparteniez dans cette enceinte, je n’ai pas partagé moins vivement le respect pour ce peuple glorieux qui combat depuis trois jours pour redresser un gouvernement perfide et pour rétablir sur une base désormais inébranlable l’empire de l’ordre et l’empire de la liberté.

« Mais, messieurs, je ne me fais pas l’illusion qu’on se faisait tout a l’heure, à cette tribune ; je ne me figure pas qu’une acclamation spontanée, arrachée à une émotion et à un sentiment publics, puisse constituer un droit solide et inébranlable et un gouvernement de trente-cinq millions