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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

gouvernement provisoire ne peut rien statuer à cet égard de définitif ; mais de violents murmures et des gestes peu équivoques l’avertissent qu’il touche l’écueil. Il déclare, alors, qu’il est personnellement décidé pour la République, mais il répète que personne n’a, selon lui, le droit de l’imposer à la France.

La réprobation générale que soulèvent ces paroles fait comprendre à M. de Lamartine qu’il serait insensé de vouloir tenir tête à cette multitude, et, sur un mot que vient lui dire à voix basse M. Flottard, il quitte le bureau et va rejoindre, dans le cabinet du secrétariat, M. Garnier-Pagès et M. Dupont (de l’Eure), qui a trouvé enfin un peu d’air et de repos loin de la foule. Au bout de quelques instants, MM. Ledru-Rollin et Arago arrivent[1]. On va pouvoir délibérer.

On commence par se barricader du mieux que l’on peut. Une dizaine d’élèves de l’École polytechnique, quelques hommes dévoués, se placent en guise de sentinelles dans la galerie vitrée qui précède le cabinet ; ils se mettent en travers des portes, les étayent de leurs épaules, résistent ou parlementent avec ceux du dehors. À chaque instant, ils ont à soutenir un nouvel assaut. Les délégués du peuple veulent entrer ; ils prétendent assister aux délibérations et surveiller les actes du gouvernement. Ils insistent et menacent ; ils ont d’autres dictateurs sous la main en cas de tergiversations. On les exhorte à la patience, on tâche d’obtenir d’eux au moins quelque répit, mais c’est à grand’peine qu’on parvient à les écarter un moment. La présence de M. Ledru-Rollin au conseil n’est pas à leurs yeux une

  1. M. François Arago, malade depuis quelque temps, n’avait point assisté aux dernières séances de la Chambre et ne prit aucune part à la lutte des trois journées. Lorsqu’il eut été proclamé, à la tribune du palais Bourbon, membre du gouvernement provisoire, son fils alla le chercher à l’Observatoire. Accompagné de deux de ses parents et d’un jeune Italien de ses amis, M. Frapolli, il se rendit à l’Hôtel de Ville. Partout sur son passage la foule lui fit place avec respect.