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HISTOIRE

ser passer les soldats avec les honneurs de la guerre, maintenant il exige qu’ils déposent les armes. En vain, les employés supérieurs de l’hôtel les supplient, le général Saint-Arnaud leur ordonne de se soumettre ; les gardes municipaux repoussent avec indignation une capitulation qu’ils estiment déshonorante. Pendant que l’émeute gronde aux portes, une lutte s’engage entre ceux qui consentent à capituler et ceux qui veulent mourir les armes à la main. Enfin ces derniers, voyant que tout est perdu, brisent leurs armes, vident leurs gibernes, déchirent leurs cartouches en poussant des cris de rage. Les officiers de la garde nationale exigent du peuple la promesse qu’on laissera sortir la troupe sans l’insulter, et s’engagent à conduire les gardes municipaux à Vincennes. Les portes s’ouvrent. Les cavaliers, la tête nue, passent les premiers à travers les murmures de la foule, puis les fantassins, puis les chasseurs d’Orléans, avec lesquels le peuple fraternise. La garde nationale protège de son mieux la triste colonne qui s’avance vers la place de l’Hôtel de Ville. Sur le quai aux Fleurs, une immense barricade lui barre le passage. Une décharge à bout portant renverse plusieurs soldats ; une femme et un garde national sont tués roides. C’est le signal d’une nouvelle lutte ou plutôt d’un effroyable sauve-qui-peut. Culbutés, poursuivis, un grand nombre de gardes municipaux sont tués ou blessés mortellement ; le colonel et le chef d’escadron n’échappent que par miracle. Le dévouement de quelques combattants les dérobe à la fureur des autres ; on les cache, on les travestit ; des hommes du peuple les gardent chez eux jusqu’à la nuit tombante, puis ils sont conduits en sûreté à la mairie. Le général Saint-Arnaud, renversé de cheval, entouré par une foule furieuse, est dégagé par quelques gardes nationaux, qui le sauvent en le menant à l’Hôtel de Ville.

Les chasseurs d’Orléans, qui s’étaient séparés sur le quai des gardes municipaux et qui se dirigeaient vers les Tuileries, rencontrent sur leur chemin une bande populaire