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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

fanatiques, par des conspirateurs, par des hommes familiarisés avec la théorie de l’assassinat politique. Plus d’un Marat subalterne lui soufflait déjà dans l’ombre ses inspirations sanguinaires ; mais le délire même de ce peuple en armes, abandonné à son propre génie, dans l’ivresse de la victoire, ne trahit que le secret de sa grandeur. L’idéal de la République, longtemps caché, enfoui dans son sein, avec une passion jalouse, en sortit pur. Les premières paroles qu’un poëte adressa, au nom du peuple républicain, à la France et au monde, furent des paroles de paix et de concorde.

Le gouvernement provisoire prenait en main la plus belle, la plus religieuse tâche qui soit jamais peut-être échue à des hommes : un peuple fier, courageux, intelligent, soulevé pour défendre le droit, l’honneur, la moralité politique, lui confiait spontanément le soin de ses destinées. Victorieux, il abdiquait sur l’heure même de sa victoire et remettait à des hommes, qu’il jugeait plus capables que lui d’en user avec discernement, un pouvoir qu’il voulait bienfaisant, conciliateur et juste. Ce peuple magnanime n’exigeait qu’une seule chose, mais il l’exigeait avec passion : il voulait que, répudiant un règne anti-national, on reprît sincèrement la tradition de liberté expansive et d’unité qui, depuis les premières origines de notre histoire jusqu’à la révolution de 93, avait de plus en plus cimenté la puissance de la nation française en étendant sa gloire. Il voulait que l’on rendît au pays sa vigueur énervée par de pernicieux enseignements et par des pratiques détestables. Une voix sortie de ses entrailles, une voix qui éveillait des échos jusqu’aux confins du monde, appelait les élus de l’Hôtel de Ville à une entreprise signalée.

Et tout paraissait conspirer à la leur rendre facile. Par un concours extraordinaire de circonstances heureuses, le gouvernement provisoire, bien qu’issu d’une insurrection et investi du pouvoir par une élection tumultuaire, représentait avec éclat toutes les forces légitimes que la raison