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HISTOIRE

ments la société éperdue. De braves jeunes gens, accourus de l’école de Saint-Cyr et de l’école polytechnique, des écoles de droit et de médecine, formaient autour du gouvernement provisoire une sorte de garde volontaire, et portaient par la ville ses ordres, sés proclamations, ses décrets. Dans un cabinet voisin, la mairie de Paris tentait de se reconstituer, et entrait en fonctions par d’urgentes mesures administratives. À deux pas de là, séparés seulement par l’épaisseur d’une cloison, une douzaine d’individus, se disant délégués du peuple, s’installaient en permanence et tenaient conseil, le sabre au côté, le fusil chargé sur l’épaule, pour savoir s’ils toléreraient, soutiendraient ou chasseraient un gouvernement d’origine suspecte.

Cependant les heures marchaient. L’agitation, en se prolongeant, prenait un caractère plus déterminé. Une partie du peuple demandait à grands cris qu’on le conduisît à Vincennes pour désarmer la garnison, tandis qu’une autre partie, se formant en groupes autour de quelques chefs, paraissait, à son animation extraordinaire, concerter un nouvel assaut de l’Hôtel de Ville. On voyait, depuis quelques instants, des hommes accourus comme à un signal, distribuer avec une activité extrême, en haranguant la foule, des ceintures, des brassards, des cocardes rouges. Aux fenêtres, et jusque sur le toit des maisons qui entourent la place, des drapeaux rouges paraissaient et provoquaient des acclamations bruyantes. Le conseil s’alarma de ces démonstrations dont il ne devinait pas le but ; il envoya sur la place des émissaires, qui revinrent presque aussitôt, épouvantés de ce qu’ils avaient entendu. Le gouvernement, dirent-ils, allait tout à l’heure être sommé, au nom du peuple, de faire descendre le drapeau tricolore, et d’arborer le drapeau rouge. En cas de refus, on devait s’attendre aux dernières violences.

La chose était grave et méritait qu’on y réfléchît mûrement. Mais à la réflexion le temps manquait. Les clameurs de la place, l’expression des physionomies, le choc des