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HISTOIRE

mence contre le terrorisme qui, disait-il, frappait aux portes et n’attendait qu’un premier triomphe pour imposer à la France sa dictature sanguinaire, il conjura ses collègues de ne point faiblir. Sa voix était émue, sa parole chaleureuse ; il raffermit de son accent énergique l’opinion un moment ébranlée de M. de Lamartine, et ranima dans tous les cœurs la résolution de maintenir à tout prix le drapeau tricolore. M. Louis Blanc lui-même céda ; soit que la violence de l’insurrection eût fait naître dans son cœur fier et honnête quelques doutes, soit qu’il se souvînt d’avoir, en d’autres temps, flétri d’une plume sévère une tentative analogue[1]. Seulement, par transaction et pour ne pas heurter de front ce qu’il affirmait toujours être le vœu général du peuple, M. Louis Blanc, en rédigeant le décret qui déclarait que le drapeau national était le drapeau tricolore, obtint d’y ajouter la phrase suivante : « Comme signe de ralliement et comme souvenir de reconnaissance pour le dernier acte de la révolution populaire, les membres du gouvernement provisoire et les autres autorités porteront la rosette rouge, laquelle sera placée aussi à la hampe du drapeau. »

Alors, M. de Lamartine, qui déjà à plusieurs reprises avait paru aux fenêtres de l’Hôtel de Ville pour tenter de conjurer la tempête, résolut, au péril de ses jours, de descendre, en fendant une foule compacte et toute hérissée d’armes, jusqu’à l’entrée de la voûte principale, d’où sa voix sonore retentirait peut-être avec assez de force pour être entendue sur la place. Là, entouré, pressé, poussé, étouffé, menacé de mort par l’inadvertance, la passion, la folie ou l’ivresse de ces hommes hors d’eux-mêmes, M. de Lamartine, calme, imperturbable, ne perdit pas un instant, et c’est ce qui le sauva, le sentiment de l’ascendant que donne sur les passions impersonnelles et irresponsables de la multitude une volonté qui a conscience d’elle-même.

  1. Voir Histoire de dix ans, t. III, p. 278, 7e édit.