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HISTOIRE

du gouvernement provisoire. Ce qui devait s’opérer graduellement, librement surtout, par consentement de l’opinion publique et par accord international, la transformation du monde industriel, fut décrété d’autorité par quelques hommes étrangers aux études économiques, à l’instigation d’un esprit versé, il est vrai, dans ces questions ardues, mais sans expérience des affaires et circonscrit dans l’étroitesse d’un système. La présomption et la faiblesse se jetèrent étourdiment dans un chaos où l’œil même du génie n’eût osé pénétrer qu’avec prudence.

inséré au Moniteur du 26 février, ce décret donna quelque satisfaction aux prolétaires. Leur esprit, plein de droiture, ne considérait en ceci que la justice de leur cause et la modération de leur requête. Rien de plus explicable. Car, enfin, demander le droit au travail, ce n’était vouloir s’affranchir d’aucun devoir envers la société ; ce n’était pas même exiger d’elle le délassement après la peine, la jouissance après le labeur. Du travail et du pain, quelle simple et noble exigence au lendemain de la plus complète des victoires ! La plèbe de Rome ancienne implorait de ses empereurs du pain et les jeux du cirque. Le peuple souverain de Paris demande à ceux qu’il a lui-même chargés de le conduire du travail et du pain. Toute la grandeur austère de la civilisation chrétienne se peut mesurer dans cette substitution d’un seul mot à un autre. Il n’est pas de civilisation dans l’avenir qui ne doive rendre hommage à cette humble et fière formule de l’émancipation républicaine.

Il ne rejaillit donc rien sur le prolétariat du blâme que l’histoire fera peser sur l’imprévoyance du gouvernement provisoire ; le peuple n’en est point solidaire. N’ayant encore reçu aucune éducation ni historique, ni scientifique, comment aurait-il pu pénétrer tout d’un coup l’un des mystères les plus obscurs de la vie sociale ? La culture que, par une constance admirable, il était parvenu à se donner lui-même, en sacrifiant son temps, ses épargnes, ses amusements et souvent ses joies de famille, avait bien pu élever