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INTRODUCTION.

Quant au rôle de M. de Broglie, il parut moins actif encore. Élève de Voyer d’Argenson, libéral à la façon dont on l’entendait alors, il professait la haine du despotisme, ce qui ne l’avait point empêché de le servir. Sous la Restauration, il avait donné des marques de courage politique. À la Chambre des pairs, où il était entré en 1814, il avait soutenu seul l’incompétence de la cour dans le procès du maréchal Ney. Et, seul aussi, dans les années suivantes, il avait appuyé les rares motions favorables à la liberté qui avaient osé se produire. Mais cette générosité des jeunes années s’abaissa peu à peu à la froide température de la coterie doctrinaire. Peu goûté du roi qu’il n’aimait guère, il n’en fut pas moins, par aversion pour la démocratie, le défenseur opiniâtre de la politique conservatrice et s’efforça maintes fois, mais en vain, de rapprocher M. Guizot et M. Thiers, dont il considérait le bon accord comme le salut de la monarchie constitutionnelle. Dans les dernières années du règne de Louis-Philippe, M. de Broglie semblait avoir abdiqué toute ambition et vivait retranché derrière les dédains systématiques de son intelligence hautaine.

Négligeant, oubliant, dédaignant ou redoutant le peuple, ces hommes considérables à plus d’un titre, unis en cela d’intention et de vues avec Louis-Philippe, s’étaient appliqués à former dans la grande nation française une petite nation de juste-milieu, seule admise, par la loi du cens électoral, à la vie politique, et qu’ils appelaient le pays légal. Ce pays légal manifestait ses opinions et sa volonté par le corps des électeurs, par les deux chambres législatives, par la garde natio-