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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

tention et d’expectative. Il n’ignorait pas que l’empire russe, auquel il rêvait un si grand avenir, portait aussi dans ses flancs des germes révolutionnaires. L’état régulier de ses finances et la force numérique de son armée le trompaient moins que personne. Il savait que, si le numéraire abondait dans les caisses de l’État, le crédit manquait à son gouvernement. Il connaissait la mauvaise administration de ses armées et leur infériorité dans les armes savantes. L’organisation de la propriété et de la commune dans ses États pouvait donner lieu, il n’en était que trop averti, à des secousses intérieures, à des jacqueries épouvantables[1]. Les dispositions d’une partie de la noblesse à son égard n’étaient pas de nature non plus à lui enlever tout souci ; il ne pouvait pas oublier la révolte prétorienne de 1825. D’ailleurs, en examinant les choses de sang-froid, n’avait-il pas tout lieu de se féliciter de la proclamation de la République en France ? Elle donnait raison à son mépris pour ce qu’il avait toujours appelé la mystification des monarchies représentatives[2] ; et elle réalisait ses prophéties, en montrant à la Prusse, à la Belgique, à la Hollande, au

  1. La commune agricole libre comprend plus des deux tiers de la population rurale dans les provinces russes. L’autre tiers appartient aux nobles. Toutes les fois que les seigneurs ont voulu tenter d’introduire chez eux le système occidental du morcellement de la terre et de la propriété privée, les paysans se sont soulevés. On évaluait, avant l’année 1848, à soixante-dix, en moyenne, le nombre des seigneurs annuellement massacrés par leurs paysans.
  2. Il sera intéressant, pour bien comprendre la politique de la Russie et les idées de l’empereur, de consulter un Mémoire présenté en 1848 à l’empereur Nicolas par un employé supérieur de la chancellerie russe. Ce document, tout à fait authentique, mais encore inédit, était destiné à la publicité. Il fut envoyé, au mois d’octobre 1848, à Munich, avec l’assentiment tacite du gouvernement impérial pour y être imprimé. Des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur en retardèrent l’impression, mais de nombreuses copies circulèrent dans les cercles diplomatiques. De longs et curieux extraits en ont été donnés dans une brochure intitulée : Politique et moyens d’action de la Russie, par P. de B. (Paul de Bourgoing), avril 1849, et tiré à un petit nombre d’exemplaires. Imprimerie de Gerdès, rue Saint-Germain-des-Prés, 10.