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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

domestique prit les proportions d’une calamité nationale. Elle suscita des pensées sinistres dans tous les cœurs.

Quelque temps auparavant, un événement purement littéraire en apparence, une coïncidence que le hasard seul semblait avoir amenée, avait frappé les esprits comme un présage. La publication presque simultanée de trois histoires de la Révolution française, par trois écrivains célèbres, MM. Michelet, Louis Blanc, Lamartine, causa une émotion générale.

De ces histoires, écrites toutes trois dans un sentiment d’admiration pour ce grand moment de notre vie nationale, les deux premières furent beaucoup lues à Paris et discutées par les esprits sérieux ; la troisième eut un retentissement en quelque sorte électrique dans la France toute entière. La splendeur du style, le pathétique des récits, la sensibilité poétique qui débordait dans ce livre prodigieux, entraînant avec elle la sévérité du juge, l’impartialité de l’historien, la logique même et trop souvent la vérité, lui donnèrent une puissance inouïe. Partout, dans tous les rangs de la société, dans tous les partis, on lut, on dévora ces pages tracées avec du sang et des larmes. Des enthousiasmes excessifs et des indignations bruyantes formèrent en se choquant une clameur immense qui porta le nom de Lamartine au-dessus de tous les noms contemporains. En vain aurait-on essayé d’apprécier avec calme l’Histoire des Girondins. Tout éloge mesuré, toute critique impartiale semblaient suspects. La passion seule parlait pour ou contre cette œuvre de poëte. Assurément, entre les causes immédiates qui ont fait éclater au dehors la révolution accomplie déjà dans les cœurs, l’Histoire des Girondins a été l’une des plus décisives, en ranimant soudain, par un don d’évocation véritablement magique, les ombres des héros et des martyrs de 89 et de 93, dont la grandeur semblait un reproche muet à nos petitesses, dont les ardentes convictions venaient réveiller notre assoupissement et faire honte à notre inertie.