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HISTOIRE

suth s’imprégna tout entière de ces récits merveilleux. On ne peut se défendre de l’idée d’une prédestination en voyant sa jeunesse se tremper ainsi aux sources primitives de la tradition magyare. Plus tard, l’ardeur de ses pensées, l’abondance de sa parole, l’inexprimable mélancolie de sa fierté orientale, rappelleront involontairement à l’esprit les contrées où il vit le jour : cette Égypte hongroise, comme la nomment les chroniqueurs, cette Theiss, semblable au Nil, dont les débordements enfantent de riches moissons, ces monts Karpathes qui renferment l’or, ces versants de k’Hegyalja où fleurit la vigne grecque, et le ciel toujours clément de cette terre sans seconde[1].

Resté jeune orphelin, dans un état voisin de l’indigence, à portée seulement de ces écoles ou gymnases des petites villes de la Hongrie, dans lesquelles le gouvernement autrichien perpétue systématiquement l’ignorance, Kossuth parvint néanmoins à cultiver les facultés éminentes dont la nature l’avait doué. À une époque où la littérature hongroise était tombée dans l’oubli, où les magnats et les gentilshommes affectaient de parler latin, français, allemand, Kossuth marqua une prédilection constante pour l’idiome national, que l’on n’entendait plus, ailleurs, que dans les rangs du peuple. Venu à Pesth à l’âge de dix-huit ans, il se lia avec deux écrivains distingués, les frères Kisfaludyi, et fit, sous leurs auspices, ses essais littéraires en langue magyare. Dès ce moment, il s’appliqua à rajeunir l’idiome de ses pères, qui prit sous sa plume, et plus tard dans ses harangues, une souplesse et une clarté admirables. Lorsque Kossuth parut pour la première fois, en 1850, dans l’assemblée du comitat de Zemplin, où sa condition de gentilhomme et sa profession d’avocat lui donnaient accès, quand il appela les sympathies de ses concitoyens sur la Pologne insurgée,

  1. On sait que des ceps envoyés de l’île de Chypre et plantés sur les versants méridionaux des Karpathes, par ordre de l’empereur Probus, sont l’origine du fameux vin de Tokai. « Ubertate locorum, cœlique benignitate, nulli terrarum secunda, » disent les chroniqueurs.