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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

rait se produire des œuvres d’un caractère sublime ou d’une beauté accomplie. La tendance générale de l’art au dix-neuvième siècle n’est pas de s’élever, mais de s’étendre, de se vulgariser, de pénétrer dans les masses. L’art, comme la politique, a pour mission de faire participer le grand nombre au mouvement de la vie intellectuelle. De là, la rareté de ces œuvres excellentes qui satisfont les esprits délicats ; de là, les inventions, les méthodes, les procédés sans nombre d’un art devenu industriel pour mettre à la portée de tous, par la multiplication et la reproduction, ce qu’un philosophe de nos jours a si justement appelé le pouvoir général de l’esprit humain. À l’art aristocratique qui ne saurait souffrir les approches du vulgaire, succède un art démocratique qui appelle à lui le peuple tout entier. L’architecture élève, pour la communication de tous avec tous, d’immenses débarcadères. Elle s’essaye à construire de vastes enceintes, arènes ou jardins d’hiver, pour les plaisirs de la multitude[1]. La musique, par des méthodes faciles, se rend familière à une population jusque-là très-rebelle aux mystères de l’harmonie. Le daguerréotype, la lithographie et la photographie, les procédés du moulage perfectionnés, arrivent pour les arts plastiques au même résultat[2], et l’on

  1. On promettait après la révolution de consacrer le Louvre et les Tuileries, réunis sous le nom de Palais du peuple, aux amusements populaires. Ce projet était, comme tous ceux que l’on formait alors, plus ambitieux que sensé. Mais le jour viendra où le gouvernement démocratique sera contraint de toute nécessité à construire, pour les réunions habituelles des citoyens, de vastes enceintes d’un caractère noble et simple, des salles appropriées à des concerts, à des cours, à des bibliothèques, reliées entre elles par des galeries couvertes, ou promenoirs d’hiver, dont une exposition perpétuelle de fleurs, de peinture et de sculpture formera la décoration toujours renouvelée.
  2. Il est curieux de voir comment, au temps de Catherine de Médicis, le calviniste Bernard Palissy se plaint (De l’art de terre, 1580), de cette vulgarisation de l’œuvre des maîtres. « As-tu pas veu aussi, dit-il, combien les imprimeurs ont endommagé les peintres ou pourtrayeurs savants. J’ay souvenance d’avoir veu les histoires de Nostre-Dame imprimées de gros traits, après l’invention d’un Allemand nommé Albert, lesquelles histoires vindrent une fois à tel mépris à cause de