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Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 2.djvu/349

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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

soi les ateliers nationaux était, dans ces temps révolutionnaires, un point capital. Le nombre des hommes enrôlés depuis leur fondation s’était accru avec une promptitude incroyable. On se rappelle que, d’après l’état approximatif dressé à l’Hôtel de Ville, le 2 mars, on ne comptait pas plus de dix-sept mille ouvriers sans travail dans Paris ; mais, au 15 mars, le chiffre réel de ces ouvriers s’élevait déjà à quarante-neuf mille ; le 20 juin, il dépassait cent sept mille. Dans ce nombre, quinze mille hommes, entrés par fraude dans les ateliers, ne sont pas des ouvriers, véritables ; on compte environ deux mille forçats ou reclusionnaires libérés. Il reste donc soixante-quinze mille hommes, prolétaires, artisans ou artistes, qui appartiennent à la ville de Paris et qui ont le droit d’y rester. Pendant le long espace de temps qui s’est écoulé depuis la formation des ateliers, on n’a jamais trouvé à occuper sérieusement plus de dix mille hommes par jour. Une somme de quatre millions, votée par l’Assemblée, a été dépensée en pure perte. Les ouvriers n’ont fait autre chose, suivant l’expression de Caussidière[1], « que gratter la terre et la transporter d’un endroit à un autre. » Ils se sont indignés de plus en plus, en voyant que rien ne se prépare pour améliorer cette condition d’oisiveté et de travail dérisoire qui les humilie. Le danger croît à vue d’œil. Un tel état de choses ne saurait se prolonger sans amener la démoralisation complète des ouvriers, la ruine des finances, l’anarchie dans Paris. Il faut donc qu’il cesse au plus tôt ; c’est ce que personne ne met en doute.

    brigadiers des ateliers avaient toujours beaucoup plus d’argent sur eux qu’il ne leur en fallait pour payer les hommes placés sous leurs ordres. L’un d’eux, ancien sous-officier dans le régiment du marquis de Bonneval, sous la Restauration, montra un jour à une personne de ma connaissance pour huit mille francs de billets de banque. Comme c’était un pauvre diable, on lui demanda d’où lui venait une somme aussi considérable. Il répondit : Je sers un maître plus généreux que la République.

  1. Voir, au Moniteur, la séance du 20 juin.