l’heure, mais soudain recueillie dans un silence religieux, on entend la voix grave de l’homme qui, en ce moment, commande à toutes les émotions et dispose de toutes les volontés : « Héros de la Bastille, dit Pujol, en levant les yeux vers le ciel, les héros des barricades viennent se prosterner au pied du monument érigé à votre immortalité. Comme vous, ils ont fait une révolution au prix de leur sang ; mais jusqu’à ce jour leur sang a été stérile. La révolution est à recommencer. Amis, continue-t-il, en ramenant son regard sur la foule agenouillée, notre cause est celle de nos pères. Ils portaient écrits sur leurs bannières ces mots : La liberté ou la mort. — Amis ! la liberté ou la mort ! » Et la foule, en se relevant sur un signe de sa main, répète à l’unisson : « La liberté ou la mort ! »
On voit alors une jeune fille, une marchande de fleurs, qui se détache de la foule et s’avance vers Pujol. Elle lui présente un bouquet ; il l’attache à la hampe d’un drapeau. Puis le dictateur en blouse fait un geste de commandement ; la masse s’ébranle et se remet en marche avec solennité.
Le peuple de Paris a le culte des morts. Ce peuple, incrédule et railleur à l’excès, est possédé d’un instinct de personnalité si fort, qu’il lui tient lieu de toute autre croyance. Il voit et il veut la personnalité partout ; il la restitue jusque dans la tombe. Ingénieux à en multiplier les emblèmes sur les restes muets de ceux qu’il a aimés, il semble vouloir ainsi les protéger contre la plus lointaine idée de destruction. C’était le bien connaître assurément que de le mener au tombeau de ses martyrs, à la première heure d’un jour où l’on voulait de lui des actes surhumains de courage ; c’était consacrer à ses propres yeux l’insurrection par le seul acte religieux qui ne le trouva jamais indifférent, frivole ou profane[1].
- ↑ J’ai eu fréquemment occasion d’observer cet étrange contraste d’un peuple railleur à l’excès envers les vivants et naïvement pieux envers les morts, en allant visiter, le dimanche, les cimetières de Paris. On