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HISTOIRE

Lamartine. Lui et M. Ledru-Rollin étaient les seuls qui connussent toute l’étendue du danger dont on était menacé. Mais tandis que M. Ledru-Rollin, suspectant les talents et surtout les intentions du général Cavaignac, que le bruit public désignait comme l’adversaire caché, comme le successeur probable de la commission exécutive[1], n’aurait voulu lui laisser qu’un pouvoir limité, M. de Lamartine, au contraire, toujours confiant et généreux, l’appuyait non-seulement comme chef d’armée, mais encore comme chef présumé et prochain du pouvoir exécutif[2]. À plusieurs reprises, depuis le 15 mai, il avait engagé ses collègues à se retirer pour remettre aux mains d’un pouvoir militaire les affaires de la République, qu’il voyait périr par défaut de concert et de force dans le gouvernement ; ce pouvoir nécessaire, mais dangereux, il pensait qu’on pouvait le confier sans réserve à la loyauté du général Cavaignac.

Une fois, le 14 juin, il avait apporté au conseil sa démission, et, s’il l’avait retirée, c’était uniquement dans la crainte que sa retraite, à la veille d’une insurrection formidable, ne parût le calcul d’un égoïsme pusillanime.

Dans la séance qui se tint le 22 juin, après minuit, M. de Lamartine, tout en repoussant avec beaucoup de fierté, au nom de son propre honneur et de celui de ses collègues, l’avis de se retirer, que M. Martin (de Strasbourg) leur apportait de nouveau, au nom de la réunion du Palais-National, insista encore, et cette fois avec succès, pour que l’on concentrât toutes les forces militaires entre les mains du général Cavaignac. M. de Lamartine conseillait aussi, afin d’agir avec toute la célérité et tout l’accord désirables en des circonstances aussi graves, et pour rendre cet ac-

  1. La Presse, du 22 juin, disait ouvertement que le National voulait, par l’insurrection, rendre nécessaire la dictature du général Cavaignac.
  2. Le Bien public, journal dirigé par M. de Lamartine, disait dans son numéro du 16 juin : « Le général Cavaignac porte de jour en jour davantage à la tribune l’attitude de l’homme d’État ; sa parole sobre et sévère va toujours toucher une vérité. »