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HISTOIRE

La nouvelle de cette mort sinistre, de cet assassinat commis sur l’un des hommes les meilleurs, les plus respectés de l’armée, se répandit dans Paris avec une grande rapidité et y causa une sensation d’horreur universelle. Elle fut, pour les esprits les moins précipités dans leurs jugements, la confirmation de l’opinion que la peur et les haines politiques avaient, dès le premier jour, voulu faire concevoir de l’insurrection.

Le général avait écrit : « Je suis entouré de républicains socialistes. » Il avait été lâchement assassiné ; conséquemment les insurgés socialistes étaient tous des assassins, des meurtriers, des hommes dignes du bagne. Ce sont là de ces inductions simples et faciles qui se présentent tout d’abord au vulgaire. Lorsque l’on vit les imaginations frappées, la calomnie, qui jusqu’alors ne s’était essayée que timidement, devint systématique. La joie odieuse de l’esprit de parti ne ménagea plus rien. Elle ne respecta plus ni la douleur publique, ni l’honneur national, ni l’humanité. Selon les feuilles réactionnaires[1], il n’y avait pas moins de vingt-deux mille forçats dans l’insurrection. Ces ouvriers, dont les mêmes feuilles avaient, pendant trois mois, loué avec une hypocrite exagération la sagesse, l’intelligence, la probité, formaient soudain une horde de malfaiteurs. Ils portaient sur leurs drapeaux d’infâmes inscriptions qui menaçaient Paris d’incendie et de pillage.

« Le feu, le poison, le poignard et le vitriol, écrivait-on, ont été employés, en des inventions de Néron, avec la sagacité de Satan. » Les détails les plus circonstanciés étaient complaisamment fournis à l’appui de ces assertions. Selon les uns, les insurgés dressaient sur leurs barricades des trophées de têtes et de membres coupés, disposés avec une horrible symétrie ; ils avaient enlevé, dans les pensions et dans les couvents, des jeunes filles des premières maisons de France, qu’ils dépouillaient de leurs vêtements et qu’ils

  1. Voir particulièrement le Constitutionnel et la Patrie.