La garde nationale, en particulier celle qui, venue de la province, n’avait pas pris part au combat et brûlait de montrer du zèle, s’emporta en fureur contre les socialistes.
Presque tous les coups étaient tirés de haut en bas ou de bas en haut,
dans une direction oblique. Les combattants étaient si proches les uns
des autres, que les balles, animées de toute leur vitesse, traversaient
le corps, brisaient les os et prenaient l’apparence de balles mâchées.
Renvoyées par les murs, elles subissaient de singulières déformations.
Quant aux balles coniques, tronquées, creuses et ciselées d’arêtes,
qui parurent une invention féroce, il est résulté de la déposition
du colonel de Goyon devant la commission d’enquête et de sa lettre datée
du 5 juillet 1848, que c’étaient des balles d’un nouveau modèle
destinées à l’armée et en essai à Vincennes. L’eau-de-vie des cantines a
été scrupuleusement analysée (Voir aux Documents historiques, à la fin
du volume, no 18, la déposition de M. de Guise, chirurgien en chef de
la garde nationale) sans qu’il ait été possible d’y surprendre la plus
légère trace de poison. La femme Hervé, accusée d’avoir scié un garde
mobile entre deux planches, a été acquittée à l’unanimité, par le conseil
de guerre. Quant à la fin tragique du général Bréa, elle est le
crime individuel de quelques hommes.
Voici les faits et les renseignements qui s’y rapportent. Sur vingt-cinq
accusés, quatre sont convaincus du meurtre et condamnés à
mort. Ce sont : Le nommé Daix, indigent, recueilli à l’hospice de Bicêtre ;
Vappereaux, maquignon ; Choppart, surnommé le Chourineur,
chez qui le penchant à tuer était passé à l’état de monomanie ; Lahr,
ancien soldat dans un régiment d’artillerie, puis logeur, marchand de
vin et enfin maçon. Lahr dirigeait l’insurrection à la barrière Fontainebleau ;
il avait été en garnison à Ham et avait constamment gardé
des relations avec les meneurs du parti bonapartiste. Très-arriéré dans
ses affaires, par suite de la révolution de Février, très-accessible aux
séductions, on lui avait vu, en ces derniers temps, plus d’argent qu’il
n’avait coutume d’en avoir. Huit jours avant l’insurrection, Lahr eut,
avec Nadaud, le maçon, représentant du peuple, une querelle très-vive
au sujet de ses opinions napoléoniennes.
Le parti républicain a attaché une très-grande importance à bien
établir que les assassins du général Bréa étaient, non des républicains,
mais des bonapartistes. Ce soin extrême à rejeter la solidarité d’un tel
crime fait honneur à la moralité d’un parti ; mais je ne crois pas
qu’elle soit très-utile, ni même très-rationnelle. L’histoire montre suffisamment,
par les crimes nombreux commis au nom de toutes les
idées, que ce ne sont pas les opinions des hommes qui les font assassins, mais leur nature. Les instincts individuels ont plus de part que
les idées générales à ces actes atroces ; il n’est pas, heureusement, en
la puissance de quelques pervers de flétrir par leurs crimes les croyances
qu’ils ont paru professer.