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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

ne se laissait pas émouvoir par ces considérations trop générales, il particularisa sa pensée, il indiqua, par des allusions aussi directes qu’il était possible de les faire, de quel côté se portaient ses inquiétudes. Il rappela les élections de l’an X qui donnèrent à Bonaparte la force de relever le trône et de s’y asseoir : « Êtes-vous bien sûrs, s’écria M. Grévy, dans un beau mouvement d’éloquence inspiré par de tristes pressentiments, que dans cette série de personnages qui se succéderont tous les quatre ans au trône de la présidence, il n’y aura que de purs républicains empressés d’en descendre ? Êtes-vous sûrs qu’il ne se trouvera jamais un ambitieux tenté de s’y perpétuer ? Et si cet ambitieux est le rejeton d’une de ces familles qui ont régné en France, s’il n’a jamais renoncé expressément à ce qu’il appelle ses droits, si le commerce languit, si le peuple souffre, s’il est dans un de ces moments de crise où la misère et la déception le livrent à ceux qui masquent sous des promesses leurs projets contre sa liberté, répondez-vous que cet ambitieux ne parviendra pas à renverser la République[1] ? »

Mais l’Assemblée était si loin alors de songer au despotisme, elle puisait dans son honnêteté un tel désir de se montrer désintéressée, que les avertissements de M. Grévy ne produisirent sur elle aucun effet. M. de Lamartine, d’ailleurs, vint lever les derniers scrupules, les derniers doutes qui restaient encore dans quelques esprits.

Soit, comme on le lui a reproché plus tard, qu’il obéît à des préoccupations personnelles et à une secrète hostilité contre l’Assemblée qui lui avait préféré le général Cavaignac ; soit plutôt qu’ayant vu de près, tout récemment, les dangers d’une autorité faible, il fût plus que personne possédé de la pensée générale qu’il fallait investir le pouvoir exécutif de toute la force possible, M. de Lamartine, niant résolûment le danger de l’usurpation, proclama avec une

  1. Voir, au Moniteur, séance du 6 octobre 1848.