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HISTOIRE

par la connaissance qui leur venait du grand mouvement bonapartiste des campagnes, soit qu’ils préférassent courir toute espèce de chances inconnues plutôt que de voir se fonder le gouvernement républicain. L’opinion que les représentants de la droite s’étaient formée de la médiocrité d’esprit du prince Louis Bonaparte contribua beaucoup à la préférence qu’ils lui accordèrent sur le général Cavaignac. Les légitimistes et les orléanistes pensaient également que, pour revenir, ceux-là au gouvernement de la branche aînée, ceux-ci à la dynastie d’Orléans, la voie la plus sûre et la mieux ménagée serait la présidence temporaire d’un homme dont le nom rappellerait aux populations les formes monarchiques et dont la faiblesse personnelle n’opposerait, le moment venu, aucun obstacle sérieux au renversement du gouvernement républicain.

C’est ainsi que de toutes parts la pusillanimité, l’intérêt, la vanité, les petites ambitions, toutes les passions mauvaises aveuglèrent les hommes de parti et les poussèrent, contre toute raison, contre tout honneur et toute politique, dans un état incomparablement pire pour leur orgueil que celui auquel ils prétendaient se soustraire.

Cependant le dix décembre approche, c’est le jour fixé par l’Assemblée pour l’élection. Déjà le peuple est convoqué ; son droit est reconnu. Quel que soit le nom qu’il fasse sortir de l’urne, personne désormais n’imagine qu’il serait possible de contester son choix. Le voici maître de ses destinées.

Cette heure et l’acte qu’elle amène avec elle sont plus solennels encore qu’on ne le sent généralement. L’opinion, qui s’inquiète du résultat de l’élection à la présidence comme d’un grave événement politique, ne comprend pas que l’élection en elle-même et dans son principe constitue précisément cette révolution sociale dont on repoussait encore tout à l’heure avec tant d’énergie jusqu’à la plus lointaine pensée, et dont on se persuade avoir triomphé en envoyant sur les pontons quelques milliers de prolétaires.