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HISTOIRE

dans son sein, de tout niveler sous sa muette et formidable loi.

L’élection de Louis-Napoléon Bonaparte, cette résurrection du pouvoir impérial par l’évocation populaire, n’a pas d’autre sens. Le 10 décembre a, comme le 24 février, relativement aux classes inférieures, le caractère d’une émancipation légale venue par la faute des classes dirigeantes avant l’émancipation intellectuelle, et qui tourne, à cause de cela même, contre la liberté.

La démocratie du dix-neuvième siècle serait-elle réservée, comme on l’a dit, au triste sort de la plèbe romaine ? Incapable de s’élever à la liberté, n’aurait-elle d’autre idéal que le pain et les spectacles, d’autre fin que l’invasion des barbares ?

Trop de présages certains, trop de signes, trop d’évidences rationnelles sont là qui répondent à ces questions et dissipent ces craintes. Sans parler des vicissitudes politiques qui peuvent surgir dans un avenir non éloigné, une vue générale de la société et de son développement nous enseigne l’espérance.

La démocratie moderne n’est pas soumise à la loi du destin antique. Le christianisme dont elle est issue, la philosophie qui l’adopte, lui ont révélé le principe et lui préparent les voies d’un progrès indéfini. Ce n’est pas une aveugle énergie qui la pousse, c’est une force organique qui l’anime ; une force qui cherche la forme et la loi d’une civilisation plus vaste et plus parfaite. Au sein de ce qui peut paraître une dissolution momentanée, ou du moins le retour à une sorte de barbarie relative, puisque c’est le triomphe de la masse sur l’élite, de l’instinct sur l’intelligence, on sent fermenter des germes puissants. Un progrès mystérieux se réalise par des moyens qui confondent notre esprit. De masse voici déjà le peuple devenu nombre. Dans le grand acte auquel il vient d’être appelé, on l’a compté, il s’est compté lui-même. Désormais il se connaît ; il a acquis, avec le sentiment de sa force, la conscience de son droit ; et dans les