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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

rêt de 3 pour cent, livre le paysan, qu’elle entraîne à acquérir une plus grande étendue de sol qu’il n’en saurait payer avec son épargne, à la rapacité des usuriers. Dès qu’il est entré en relation de commerce avec cette race rusée, dès qu’il a mis son nom au bas d’un papier qu’il a lu et relu vingt fois sans apercevoir la clause cachée qui le perd, le paysan, malgré toutes ses finesses, ne parviendra plus à recouvrer sa liberté. Désormais son activité, son intelligence, les bienfaits de la Providence qui lui envoie de riches moissons, ne profiteront plus à lui, mais à son nouveau maître. L’intérêt exorbitant d’un tout petit capital absorbera son temps et ses sueurs. Chaque jour il verra diminuer l’aisance de sa famille et grossir ses embarras. À mesure qu’approche le jour fatal de l’échéance, le visage plus sombre de son créancier l’avertit qu’il n’a point de répit à en attendre. Il faut se résoudre, il faut entrer plus avant dans la voie de perdition ; emprunter encore, emprunter toujours, jusqu’à ce que la ruine soit consommée, et que champs, prés et bois, maison, troupeaux et ménage, tout soit passé de ses mains laborieuses dans les mains rapaces de l’usurier. Que de ressentiments alors, que de haine dans le cœur du malheureux dépossédé ! Avec quelle ardeur il souhaitera, avec quelle patience il saura attendre, épier l’occasion des représailles ! La pensée de commettre une injustice ne se présente pas même à son esprit lorsque, comme on l’a vu en Alsace, il saccage la demeure, il poursuit la famille, il pille les biens du juif usurier et qu’il se venge, en un jour, des souffrances endurées pendant toute une vie ! Chose, incompréhensible, l’expérience n’éclaire ni l’un ni l’autre de ces ennemis. Les juifs de l’Alsace, rentrés dans leurs demeures ravagées, recommencent à tendre leurs embûches au paysan, qui ne manque pas de s’y prendre encore. De part et d’autre, la passion d’acquérir fait tout oublier et rapproche dans une même hypocrisie des esprits tout chargés de haines irréconciliables.

Hormis cet incident, qui n’avait rien de commun avec la