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HISTOIRE

bienséance envers un homme dont l’effronterie égalait, à ses yeux, la perversité.

Cependant, malgré de violentes interruptions, des injures, des éclats de rire qui partaient à la fois de tous côtés, M. Proudhon, qui n’en paraissait aucunement ému, occupa la tribune pendant près de quatre heures. Il exposa de nouveau, il développa tout l’ensemble de sa proposition que ni le comité ni M. Thiers, disait-il, n’avaient comprise.

Elle était pourtant, suivant lui, d’une simplicité parfaite. Selon M. Proudhon, la société était aux abois. Pour la sauver d’une ruine imminente, il fallait établir, au moyen d’un système de crédit gratuit et réciproque qui supprimât l’intérêt du capital, l’équilibre exact de la production et de la consommation. Il fallait une loi qui obligeât tous les capitalistes et rentiers à faire à leurs fermiers, locataires, débiteurs de tous genres, remise, à titre de prêt, d’un sixième de leur revenu (M. Proudhon évaluait ce sixième à la somme totale de 1500 millions), et à verser dans les caisses de l’État, à titre d’impôt, un autre sixième destiné à la création d’une banque d’échange. C’étaient là, d’après M. Proudhon, des moyens assurés de faire renaître la circulation, le travail, la concurrence, l’industrie et de procéder graduellement à l’abolition de la propriété.

M. Thiers n’eut pas besoin d’une dialectique très-forte pour démontrer combien une pareille mesure serait violente et inapplicable. L’Assemblée tout entière, le parti républicain en particulier et surtout les quelques socialistes qui s’y trouvaient encore et qui s’indignaient de voir M. Proudhon compromettre par des formules absurdes et des projets vides de sens la cause qu’il prétendait défendre, protestèrent contre lui.

Dans un ordre du jour motivé qu’elle vota à l’unanimité moins une voix, l’Assemblée déclara que la proposition de M. Proudhon était une attaque scandaleuse contre les principes de la vraie morale, une menace à la propriété, et