Page:Agoult - Lettres républicaines.djvu/124

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mes, comparé les services rendus, les gages donnés, les droits acquis. Aujourd’hui, hélas ! il est bien à craindre qu’un très petit nombre seulement accomplisse avec scrupule ce devoir civique. Les masses, si rien ne change d’ici au 10 décembre, voteront aveuglément par lassitude, pour en finir avec le provisoire, pour protester contre les gouvernemens successifs auxquels on attribue le malaise général. Aussi les prétentions les moins justifiées en temps ordinaires ont-elles leur chance. Quand le peuple français se dépite contre ceux qui le mènent, il n’est pas d’extravagance dont il ne soit pas capable.

Les candidats sont nombreux et divers. De M. le maréchal Bugeaud à M. Raspail le parcours de l’opinion est vaste, et bien des aberrations y trouvent accès. Il serait long et superflu de les énumérer. Bornons-nous à examiner les titres des candidats sur lesquels se porte plus particulièrement l’attention publique. Jusqu’ici et sauf les brusques reviremens qu’il faut toujours prévoir dans un état aussi anormal que le nôtre, M.M. Ledru-Rollin, Lamartine, Cavaignac et Louis Bonaparte se placent en première ligne.

Après de longues négociations, plusieurs fois rompues, après des réserves mutuelles et des précautions prises pour l’avenir, les deux grandes fractions du parti radical, les montagnards et les socialistes, sont tombés d’accord de nommer M. Ledru-Rollin. Si donc rien ne vient rompre une coalition formée par l’ascendant de quelques chefs plutôt que par de réelles sympathies, si aucune rivalité individuelle ne surgit qui brise une trame encore fragile[1], M. Ledru-Rollin peut compter sur les voix de tout ce qui, avec plus ou moins de clairvoyance et d’ardeur, veut la République démocratique et sociale.

Cette préférence s’explique en majeure partie par la bienveillance personnelle qu’inspire l’ex-ministre de l’intérieur. Cet homme sans fiel dont les provinces ont fait un terroriste et que ses flatteurs, après boire, ont parfois salué du nom de Danton, ce croque-mitaine des enfans de la bour-

  1. Au moment où j’achève cette lettre, la trame fragile est déjà rompue ; la candidature de M. Raspail adoptée par les socialistes, vient encore diminuer les chances de M. Ledru-Rollin.