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Page:Agoult - Lettres républicaines.djvu/29

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qu’il semble étrange aujourd’hui qu’on ose lui adresser une parole de blâme. Il vous appartenait plus qu’à nul autre, Monsieur, à vous qui avez si longtemps combattu dans les rangs du Peuple, de lui dire la vérité sans ménagement, car vous ne sauriez être suspect de dédains aristocratiques ; et je vous sais, quant à moi, un gré infini de nous donner l’exemple d’une franchise devenue aussi rare sur la place publique qu’elle l’était naguère dans l’antichambre des rois. Il est temps, en effet, que le Peuple soit averti, car la dernière fantaisie qu’il vient de se passer est de nature à compromettre beaucoup l’idée qu’on s’était faite de maturité et de son jugement. Jamais plus brusque sottise n’est venue démentir une sagesse mieux éprouvée. Jamais contradiction plus choquante n’a surpris et contristé ceux qui respectent et voudraient honorer toujours le suffrage populaire. Le ballet que dansait Louis XIV devant un parterre prosterné n’était-il pas moins ridicule, à votre avis, que cet intermède politique des élections où nous venons de voir le Peuple français, sous les yeux de l’Europe qui le siffle, jouer le rôle d’un niais sans dignité ni grâce ? Aristote à quatre pattes, promenant dans les jardins d’Alexandre, sur son dos de philosophe, une courtisane indienne, me paraît moins grotesque que la Révolution de 1848, élevant dans ses bras et portant aux honneurs suprêmes… qui ? on a honte de le dire, la postérité aura peine à le croire, le prétendant confus de Strasbourg et de Boulogne, le promeneur d’aigle, le traîneur de sabre impérial, le constable par inclination, et, pour tout dire en un mot, le neveu, oui, le neveu obscur d’un grand homme !

Ô démocratie, incline toi ; salue la féodalité, le privilége ; salue les ducs, les comtes, les barons ; renie tes pères, abjure tes dogmes ; fais taire ta bouche, impose silence aux battemens de ton cœur ; démocratie, fière démocratie, prépare à ton foyer une place pour des hôtes insolens, venus de loin ; voici le cortége de l’empire qui passe !