Page:Agoult - Lettres républicaines.djvu/59

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tion partagée et ses vagues limites. À peine quatre mois se sont-ils écoulés, que tout l’enthousiasme sans égal qu’il inspirait se glace tout d’un coup. Un brusque revirement, trop ordinaire dans nos révolutions, une soif d’ingratitude qui ne sait point attendre, le rend presque seul responsable des maux dont on gémit. La faveur populaire se retire, il tombe avec nos espérances déçues ; il tombe, hélas ! avec la liberté.

Je n’accuse personne, je ne veux rien insinuer, rien dire à demi, rien avancer sans preuves. « La vérité aime la douceur et la paix. » Elle ne se produit point dans les temps d’irritation et de lutte. Sachons attendre.

Malgré la suppression si prompte et si douloureuse de nos libertés, nous attendrions avec patience et sans crainte si le pouvoir demeurait aux mains pures, loyales et républicaines du chef que l’Assemblée vient de choisir. Mais, derrière le pouvoir officiel, nous apercevons le pouvoir officieux au-dessous du général Cavaignac, derrière le général Lamoricière, qui donc se dérobe avec si peu de soin que chacun le devine et le nomme ? N’est-ce pas M. Thiers ?

Que de chemin en quatre mois et que le pays a reculé vite ! L’élève de Talleyrand, l’émule de Guizot, le terroriste constitutionnel, conseillant déjà, remplaçant bientôt peut-être cette république libre et fraternelle qui s’inspirait, en la personne de Lamartine, de la morale de Fénelon, de la politique de Washington ! quelle dérision amère !

Serions-nous donc, en effet, comme l’affirment nos ennemis, indignes de la posséder, cette liberté que nous convoitons d’une passion si ardente dès qu’elle nous fuit, que nous négligeons, que nous outrageons dès qu’elle se donne ?

Le retour vers un passé si justement flétri dans notre mémoire nous est-il infligé comme un châtiment de nos erreurs et de nos fautes ? L’esprit d’un parti prévaudra-t-il sur le génie d’une nation, l’intrigue sur la magnanimité, l’habileté sur la grandeur ? Mon ami, je me le demande parfois avec anxiété, est-ce au mensonge, à l’ironie, qu’est réservé le dernier mot des affaires humaines ?