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force en même temps que la récompense de l’orateur. D’où vient cela ? D’où vient qu’en des circonstances qui paraissaient si favorables, l’art oratoire est demeuré languissant et n’a point conquis, par un essor nouveau, l’empire des âmes ?

Entre les causes diverses que j’entrevois à cette influence très minime des orateurs pendant la période si féconde en évènemens que nous venons de parcourir, il en est une qui suffirait seule à l’expliquer. C’est le caractère en quelque sorte pratique et le sens très peu idéal de la Révolution de février.

La guerre pour le droit, cette lutte de Titans dans laquelle nos pères ont prodigué tant d’héroïsme et de génie, est terminée. Il ne s’agit plus pour nous de faire triompher une cause à jamais victorieuse, mais de réaliser les promesses que les philosophes ont faites en son nom à l’humanité. La théorie est devenue un lieu-commun. Les principes ne sont plus contestés. Chacun souhaite, exige leur application dans les faits. Or, l’application sociale du principe de l’égalité fraternelle, ce n’est ni à la religion, ni à la philosophie, ni à l’art qu’on la peut demander aujourd’hui ; c’est à la science aride du chiffre, à l’économie politique, à ce qu’il y a de plus utile mais de moins beau dans l’ordre des connaissances humaines.

Et le cœur humain est ainsi fait, l’homme est de si noble essence, que pour l’émouvoir fortement, pour l’exalter, il faut la beauté idéale. L’utilité des institutions par lesquelles le crédit, le travail, la prospérité, l’existence matérielle enfin, seront assurés à tous, cette préoccupation exclusive du dix-neuvième siècle, ne saurait inspirer le génie des arts libéraux. À quoi servirait de nous le dissimuler ? La société est entrée dans une de ces phases de transformation où le travail interne des forces vitales détruit toute harmonie apparente. N’a-